LETTRES DU MONDE – Les traditionnelles rencontres automnales ouvrent leur 19e édition par un grand entretien avec Andreï Kourkov, écrivain ukrainien pris dans les tourments de la guerre. Ses deux derniers ouvrages traduits en français, et publiés cette année, en relatent des soubresauts historiques.

Quel paradoxe qu’Andreï Kourkov ait sorti deux romans en France en 2022, lui qui affirme que guerre et littérature sont incompatibles et raconte qu’il a arrêté le roman sur lequel il travaillait « le 24 février à 5 heures du matin quand, il a été réveillé par les premières explosions », incapable d’écrire une ligne de fiction dans ce contexte. Dès lors, l’écrivain russophone et polyglotte, — il parle six langues —, a fui la capitale, est devenu nomade, écrivain engagé dans des écrits sur la guerre et des tournées internationales.

« Je suis engagé dans l’information sur la guerre pour le public étranger. »

Déjà invité il y a quelques années par Lettres du Monde, il en ouvrira la 19e édition (où figurent aussi Laura Kasischke, Joseph Incardona ou Douglas Kennedy) par un grand entretien chez Mollat intitulé « Écrire et résister », et une rencontre à La Machine à Lire le lendemain, avant de filer aux Littératures européennes de Cognac. Fin octobre est donc parue en France la traduction de L’Oreille de Kiev, un plongeon historique de cent ans, dans l’Ukraine bolchevique de 1919.

Andrei KOURKOV - Copyright obligatoire Julien FALSIMAGNE_Leextra_Éditions Liana Levi
Andrei KOURKOV – Copyright Julien FALSIMAGNE, Leextra, Éditions Liana Levi

Des archives de la Tchéka, la police politique, sont tombées dans les mains de Kourkov pendant le confinement, il en a fait un roman historique, toujours accroché aux humains, ni trop bons, ni trop beaux, ni trop héros. Les premières lignes commencent par un sabre qui coupe en deux la tête du père aimé. Samson, jeune homme à peine adulte, y perd une oreille, qu’il garde précieusement. Alors Kourkov s’avance, ce qu’il fait de mieux, mêlant les détails du réel, le souffle de l’histoire et ce qu’il faut de fantasque pour dériver en poésie.

En février dernier, Les Abeilles grises procédaient d’un même élan, auscultant le sort d’un apiculteur dans la zone grise du Donbass, après l’invasion russe de 2014. Ce roman infiniment tendre regarde la guerre depuis le plus petit bout d’humanité, au ras de l’expérience d’un village déserté où seuls Sergueïtch, apiculteur, et Pachka, son ennemi de cour d’école, ont fait le choix de rester. Le roman tourne en épopée picaresque, le temps d’une virée en Crimée avec les ruches, où d’autres réalités le rattrapent. Sergueïtch subit, mais Sergueïtch s’adapte, et surtout continue d’agir en humain. « Personne n’avait écrit sur la vie des civils qui se trouvaient dans la zone grise. J’ai décidé de leur donner voix. Ce sont des gens ordinaires, qui cherchent à survivre. La guerre les a forcés à comprendre le pays où ils habitent », confiait-il à France Culture. Ce titre figure en bonne place du prix Femina.

La guerre n’a donc pas fait taire la voix acérée, sensible et pleine d’humour de Kourkov, qui continue de poster chaque matin sur Facebook une photo « des fleurs de la victoire » en disant un bonjour ensoleillé et optimiste à toutes les « bonnes personnes ».

✍️ Stéphanie Pichon

Lettres du Monde « Le meilleur des mondes ? »
Du jeudi 17 au dimanche 27 novembre

Andreï Kourkov, « Écrire et résister »
Grand entretien avec Sonia Moumen, journaliste et réalisatrice, vendredi 18 novembre, 18h
Station Ausone, Librairie Mollat, Bordeaux (33)

Andreï Kourkov, « Rester debout »
Rencontre animée par Maïalen Lafite, samedi 19 novembre, La Machine à Lire, 11h, Bordeaux (33)
www.lettresdumonde33.com

Les Abeilles grises et L’Oreille de Kiev
Traduction du russe (Ukraine) par Paul Lequesne, Liana Levi, 2022

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