Cette année aux rencontres de Chaminadour, Mathieu Larnaudie part sur les grands chemins de Dante. Entretien avec l’ancien pensionnaire de la Villa Médicis entend bien penser le génie italien dans le temps – « le sien, mais surtout le nôtre.
Loin du vain tumulte de la rentrée littéraire, c’est en Creuse, à Guéret, que l’on cause sereinement des lettres. Cette année, Mathieu Larnaudie part sur les grands chemins de Dante lors des rencontres de Chaminadour.
Membre historique du collectif Inculte, auteur d’une dizaine d’ouvrages, dont une singulière évocation de Frances Farmer (Notre désir est sans remède publié chez Actes Sud en 2015), éditeur au Seuil, l’ancien pensionnaire de la Villa Médicis entend bien penser le génie italien dans le temps – « le sien, mais surtout le nôtre.
Êtes-vous un familier des Rencontres de Chaminadour ?
J’ai eu la chance d’être invité plusieurs fois aux Rencontres. Mais si je m’en sens familier, c’est surtout pour l’ambiance très particulière, à la fois amicale et concentrée, qui règne lors de ces journées. Hugues Bachelot, le maître de cérémonie, aime s’entourer d’invités récurrents, auxquels s’adjoignent lors de chaque édition de nouveaux venus.
Il y a ainsi un beau mélange entre fidèles et néophytes, dont certains deviennent fidèles à leur tour. Nous avons fait en sorte que ce soit le cas encore cette fois-ci. On a pendant trois jours l’impression d’être dans une petite bulle suspendue hors du temps, entièrement dédiée à l’amitié et à la pensée. Sur ce plan, c’est une manifestation littéraire à nulle autre pareille.
Marcel Jouhandeau, ça vous parle ?
Il se trouve que j’ai un peu lu Jouhandeau, oui. Comme vous le savez, c’est un styliste remarquable, mais aussi une figure sulfureuse dont on ne peut passer sous silence une dimension politiquement très problématique, pour ne pas dire inacceptable.
Les Rencontres ont d’ailleurs, à leurs débuts, consacré une édition à la question, preuve qu’elles ne l’ont pas éludée. Chaminadour est le nom que Jouhandeau donne à Guéret dans son cycle romanesque. Ce « patronage » n’est pas univoque ; il engage une réflexion critique. Et la littérature qui est défendue aux Rencontres est justement celle qui peut et doit affronter cette réflexion.
Indissociable de Chaminadour, Pierre Michon est-il une figure pour vous ?
Pierre est un auteur pour qui j’ai autant d’admiration que d’affection. Je dirais même de tendresse. Il a marqué mon parcours de lecteur comme peu d’écrivains français vivants l’ont fait. Et je crois que c’est le cas pour une grande partie de ma génération.
C’est assez émouvant de parler avec lui dans le théâtre de Guéret, à quelques hectomètres à peine du lycée où il était élève. Il intervient toujours ici avec une grande générosité, c’est un bonheur de l’entendre et de l’avoir avec nous.
Vous venez en Creuse en compagnie de Dante Alighieri. Un tel choix a de quoi impressionner, aussi, très prosaïquement que dit-il ou peut-il dire de notre époque et de ses convulsions ?
Dante lui aussi écrivait en des temps de convulsions. Et l’on est surpris de voir à quel point les questions politiques qui traversent son œuvre trouvent des échos dans le contemporain. Sept siècles se sont écoulés, notre monde n’est plus le sien, mais la façon dont il l’interroge peut être reprise, réactivée par d’autres moyens. Une des tentations serait de voir en Dante un auteur patrimonial, immémorial (la portée métaphysique de son œuvre pourrait nous y inciter), et de le figer dans une pure dimension universelle qui, à mon sens, le désamorcerait en partie.
Toute son œuvre est un vaste voyage initiatique qui s’efforce au déchiffrement du monde
Nous essaierons plutôt de penser Dante dans le temps – le sien, mais surtout le nôtre. Dante au présent et au futur, comme y invitait Mandelstam. Que nous fait-il aujourd’hui ? Toute son œuvre est un vaste voyage initiatique qui s’efforce au déchiffrement du monde, elle perturbe les genres, elle mêle la politique à la poésie, elle interroge fondamentalement notre rapport au langage et à l’Histoire, en un mot à l’écriture. Cela ne peut que nous parler.
Comptez-vous disséquer son best-seller — La Divine Comédie — ou parler de sa langue, de ses essais ?
La Divine Comédie sera le chemin principal que nous arpenterons. Celui où se condense l’essentiel de l’art et de la pensée de son auteur. Mais nous ne nous interdirons pas quelques bifurcations du côté de ses poèmes, de la Vita nuova qui préfigure en bien des aspects la Comédie, ni vers ses écrits politiques ou sur la langue italienne : c’est un tel trésor, qu’un homme, au début du XIVe siècle, ait pensé tout cela ensemble.
Comment met-on en œuvre un tel rendez-vous lorsque la tâche vous en revient ?
C’est un assez gros morceau ! Mais je n’étais pas seul… Cela a été un dialogue permanent avec Hugues Bachelot, bien sûr, et avec Isabelle Delatouche notamment. Il existe évidemment toute une parole académique à propos de Dante.
Nous savions que nous ne lui apporterions rien de bien neuf sur ce plan. Nous avons donc favorisé une approche plus contemporaine, et plus immédiate : comment, sans forcément en être « spécialistes », les auteurs actuels s’emparent-ils de cette œuvre ? Comment la reçoivent-ils, quelles résonances prend-elle avec leur œuvre propre, leur parcours de lecture ?
Après Maylis de Kerangal, Mathias Enard et Arno Bertina, vous êtes le quatrième membre du collectif Inculte à présider ? Serait-ce une OPA sur Guéret qui ne dit pas son nom ?
Je crois que les gens des Rencontres aiment bien notre petite bande, justement peut-être parce que nous en sommes une, de bande.
C’est-à-dire que les liens d’amitié qui ont fait Inculte ressemblent à l’esprit que Hugues Bachelot, Pierre Michon et les organisateurs ont insufflé à cette manifestation annuelle. Ce sont eux qui nous invitent, on ne s’impose pas ! Mais c’est vrai qu’avec le temps nous avons noué un compagnonnage réciproque.
Le grand public l’ignore, mais votre plus grande passion, après la littérature, c’est le football, et, particulièrement, le FC Barcelone, alors, comment sentez-vous cette saison 23/24 ?
Ah, voilà les choses sérieuses ! Après la saison dernière qui a remis le Barça à son juste rang en Espagne, c’est-à-dire le premier, j’espère fort que ce renouveau lui permettra de retrouver la même place, sa place naturelle, au niveau européen.
Propos recueillis par Marc A. Bertin
Informations pratiques
Les Rencontres de Chaminadour : « Mathieu Larnaudie sur les grands chemins de Dante »,
du jeudi 14 au dimanche 17 septembre, Guéret (23).