Après avoir dirigé le Campus Carïbéen des Arts de Martinique, Audry Liseron-Monfils, artiste constamment animé par l’expérimentation a pris la direction de l’école supérieure des beaux-arts de Bordeaux.
Bordeaux n’est pas un territoire inconnu pour vous. Quel est votre lien avec la ville ? Quel parcours vous a mené à ce retour ?
Quelquefois un parcours est fait d’intuitions, d’influences, de moments résolument réfléchis, de concours de circonstances, de fils conducteurs et d’événements conduisant à une prise de décision. Très tôt, la ville de Bordeaux a accompagné mes interrogations et cela à partir de lectures sur le siècle des Lumières.
Ces lectures effectuées d’un autre point géographique (l’Amazonie et les Antilles) produisent en soi une analyse peu conventionnelle. Le besoin d’éprouver le terrain, d’avoir un rapport réel a été l’attrait principal pour Bordeaux et il ne m’a plus quitté. Il s’agissait de mieux comprendre les notions véhiculées par les « grands hommes ». Mais ce travail progressif et lent a été encouragé et épaulé par des personnes directement et à distance durant mes années d’étude aux Beaux-Arts et à la Faculté de Talence. Elles se reconnaîtront.
Ce départ puis ce retour, ce n’est pas la traduction du « cahier d’un retour au pays natal » ; cette fulgurance affective, sociale, philosophique posée par Aimé Césaire. Mon retour n’a été motivé par aucune stratégie même si, tout au long des années passées ailleurs et à la Martinique, j’ai maintenu une correspondance sensible avec Bordeaux.
Saurai-je un jour dire clairement ce que représente cette ville à mes yeux ? Des Antilles à l’Amazonie (Brésil et les Guyanes), Bordeaux m’accueille une seconde fois comme une invitation à définir une approche et un cheminement de synthèse entre les mondes.
Vous avez pris vos fonctions en avril. Quel premier état des lieux dressez-vous ?
Je fais la rencontre d’une équipe administrative en place et ouverte. J’en dirai autant pour tous les acteurs de l’école. De l’actuel, je peux relayer la réalité d’un enseignement dynamique, me permettant d’être en soutien à l’activation des connaissances et en ricochet avec le vaste champ de la création contemporaine.
Ma contribution consiste à coordonner les grands enjeux de cette création avec un volet d’analyse critique à renouveler. Un état des lieux des forces en présence ne peut ignorer que pour formuler un projet, le rapport aux pratiques et aux fonctions doit se tenir dans une attention soutenue à l’espace de travail.
Le bâtiment ancien (vaisseau mère) et tout ce qu’il recèle appellent à une réactivation de son site propre. Le développement des espaces est motivé par les velléités pédagogiques autant que par la prise en charge de la recherche.
Pour rester dans le constat de l’établissement, je note la prégnance d’un riche maillage associatif, partie prenante d’une infrastructure culturelle et artistique. Cette situation vécue comme vertige salutaire me permet très vite de prendre la mesure des rencontres à planifier à travers l’étendue de la Nouvelle-Aquitaine. Ce cheminement initié se poursuit dans l’objet de qualifier au plus près la nature des relations de l’école avec son environnement.
Quelles sont les grandes lignes de votre projet ? Que souhaitez-vous avant tout apporter à cette école ?
La question de la recherche sera abordée de front en garantissant une assise et un développement ancré. Il s’agit bien d’apporter à l’établissement un espace spéculatif clairement identifié en nous associant à divers partenaires, des laboratoires adéquats aux champs que nous énoncerons au fil de nos réflexions et hypothèses.
Une école cultivant de longue date le détour ou les chemins de traverse afin qu’adviennent des pratiques aux formes plastiques et aux intentions théoriques riches et multiples aspire à un espace de recherche qui se donne les garanties d’une convergence entre des questionnements pratiques et théoriques autour et avec « Bordeaux comme matériau générique ». Les deux « champs de recherche » établis il y a peu de temps par l’école — Unité de recherche Monstration-Édition (écriture du monde) et Unité de recherche MAS (Média-Anthropologie-Situation) — seront revus afin de conserver leur essence.
La structuration du travail dynamique que mène l’école en matière de relations internationales sera encouragée et orientée vers des partenariats complémentaires (Pays d’Amériques et Caraïbe comprise). Les échanges et coopérations pédagogiques gagneront à investir un pan culturel produit par le Brésil (Salvador de Bahia et São Paulo par exemple), les États-Unis (Detroit, New York, New Orleans,) pour ne citer que ces deux Amériques. Le cœur de nos attentions reste le lien permanent avec le projet de l’étudiant dans le rapport à son inscription professionnelle, articulé entre cycle court (licence) et cycle long (master).
La redéfinition du rôle, de la portée et des objectifs de la galerie ebabx s’avère nécessaire. Ses contours doivent prendre la mesure des réalités de la production artistique et de la diversité des métiers. Un travail de réflexion sera bientôt engagé. Le grand huit, ce maillage dynamique entre les écoles supérieures d’art de Nouvelle-Aquitaine, se poursuivra et se consolidera dans une démarche d’amélioration continue de nos formations et de leur évaluation.
Je ne peux oublier de mentionner les cours publics qui répondent admirablement à une demande et représentent l’interface avec des publics intergénérationnels. Je veux poursuivre le soutien de l’établissement autant pour le travail mené par ses enseignants mais aussi pour la restitution des travaux d’expression et d’acquisitions des élèves.
Être artiste, c’est un plus pour diriger une école d’art ?
Il s’agit à la fois d’un point d’appui, de repère et d’observation d’une autre nature. Ce n’est certainement pas une valeur en moins mais souvent la condition sine qua non reste la compréhension actualisée de ce qui se produit dans une telle institution.
Travailler avec la divergence des parcours, des compétences, a rarement été une difficulté pour moi. Ce qui fédère avant tout, c’est la reconnaissance de la pluralité des avis et des compétences mise dans une dynamique complémentaire. Ma position d’artiste me place à un certain endroit dont je laisse le soin à d’autres de projeter ou d’interpréter.
Propos recueillis par Didier Arnaudet