Directrice de L’Agence Créative et de la Tinbox, Nadia Russell Kissoon, artiste aux multiples facettes s’engage aussi pour une meilleure prise en charge de l’endométriose. Entretien.
Pouvez-vous revenir sur l’origine de la création du programme « Endométriose Academy » et son objectif ?
Ce projet est né de ma participation au consortium Où atterrir ? du philosophe Bruno Latour. Cette expérimentation artistique, scientifique et politique invite des citoyens à se saisir d’un sujet et à mener une enquête sur leur terrain de vie. Je me suis ainsi intéressée à « La décolonisation (physique et symbolique) des corps des personnes atteintes d’endométriose » lors d’une résidence d’artistes au CHU de Bordeaux avec l’artiste Ema Eygreteau.
Mon enquête m’a montré l’importance de réécrire les récits fondateurs et de lever la silenciation systémique des femmes concernant les maladies gynécologiques. Cette action m’a amenée à passer un diplôme à l’Université des patients, lancée par le CHU et le Collège Santé de Bordeaux, pour avoir le statut de « patiente-partenaire formatrice en santé » et à créer le programme entre art et care « Endométriose Academy » au sein de L’Agence Créative qui a pour objectif de redonner du pouvoir d’agir aux personnes concernées par l’endométriose.
Comment avez-vous composé l’exposition « Breaking this silence » et pouvez-vous en préciser le contenu ?
J’ai sélectionné des œuvres qui, par leurs formes narratives, font exister pour chacune des artistes, porteuses ou non de la maladie, différentes relations au corps politique féminin à travers des créations autopathographiques, activistes et critiques.
Hystera -dr Alicja Pawluczuk met en lumière la souffrance collective et souvent invisible causée par des siècles de misogynie médicale et le fossé persistant en matière de santé entre les femmes et les hommes. Rachael Jablo pratique une écoute activiste qu’elle illustre par des portraits individuels des organes reproducteurs des participantes.
La street poetress Nathalie Man expose des poèmes sur le féminisme, les problématiques sociales et politiques et les récits de vie ; Corinne Szabo travaille sur les « représentations » archaïques de la sexualité véhiculées par l’art et la création. L’actrice Enora Keller met en scène son quotidien avec la maladie à travers la photographie documentaire et la performance. Ema Eygreteau donne à voir l’invisible en rendant perceptibles nos réalités organiques, de chairs, d’humeurs et de fluides.
Maëliss Le Bricon partage son enquête sur la sécurité et le respect de la personne touchée par l’endométriose ; quant à moi, je présente une installation de peintures sur la recherche d’homéostasie en partant de cette phrase d’Hippocrate « l’utérus est un animal dans l’animal, il bouge de lui-même ici et là dans le corps » et je fais une performance sur la confiscation de la parole.
En quoi l’art peut-il donner une pleine visibilité à la maladie et la libérer des pesanteurs dommageables des théories rétrogrades ?
Cette exposition porte la conviction que la puissance des récits réside dans leur capacité à faire monde. C’est pourquoi il faut soigner les récits actuels en commençant peut-être par le renversement de la sociodicée et de la théodicée qui pèsent sur le corps des femmes pour remettre l’utérus et son simili-endomètre baladeur à sa place, cet organe longtemps décrit comme étant méphitique et maléfique et doté d’une « stoma ».
Ainsi faire monde, c’est se confronter aux théories rétrogrades, les faire plier pour écrire de nouveaux récits en convoquant les arts et les sciences car ces théories rétrogrades ont un impact désastreux sur le soin des femmes encore aujourd’hui. Cette maladie concerne 190 millions de femmes dans le monde.
Propos recueillis par Didier Arnaudet
Informations pratiques
« Breaking this silence »,
du vendredi 26 janvier au samedi 10 février,
BAG Bakery Art Gallery, Bordeaux (33).