Méconnu du public, l’observatoire astronomique de Bordeaux, écrin scientifique et patrimonial, juché sur les hauteurs de Floirac, et géré par l’université de Bordeaux, entame sa seconde vie après avoir été un temps sans utilisation.
En cette fin d’après-midi estivale, une longue file d’attente serpente entre les maisons d’un quartier résidentiel du Haut Floirac, sur la rive droite de Bordeaux Métropole. Elle débute devant un lourd portail, fermé, forcément. La porte d’entrée presque anodine d’un lieu insoupçonné, l’observatoire astronomique de Bordeaux.
Fermé depuis 2016, l’endroit couvrant plus de 12 hectares a revêtu ses habits de lumière pour accueillir INTI-ME, spectacle gourmand proposé par la structure Gang of Food, dans le cadre de l’Été Métropolitain.
Aux confins de la visite historique, de l’expérience gastronomique et du voyage spatial, la performance permet, entre autres, de se balader, sous escorte, dans ce site coupé du monde qui nous rapproche de la Voie lactée. Et difficile de ne pas avoir des étoiles dans les yeux à la découverte de la coupole du Grand Équatorial et du télescope qu’il abrite toujours. Un vestige du passé où le lieu était l’un des principaux centres d’astronomie en France.
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Procurer l’heure exacte aux Bordelais
Construit à partir de 1878, l’observatoire est né, en grande partie, grâce à l’action de Georges Rayet, bordelais et astronome de renom, qui fut le directeur de la structure jusqu’à son décès en 1906. Pourquoi un observatoire à Bordeaux ? Pour « procurer l’heure exacte aux Bordelais et aux navires en stationnement dans le port, [pour] contribuer à la formation des étudiants de la faculté des Sciences en astronomie physique ainsi que vis-à-vis du public », comme l’explique, sur son site, l’association Sirius visant à sauvegarder et réhabiliter le site de l’observatoire astronomique de Bordeaux.
Entre 1880 et 1892, 4 lunettes astronomiques sont installées sur le site. Des bâtiments d’études et de cours dans un style Art déco, puis plus spartiates, sont ajoutés avec le développement de l’activité académique dans les décennies suivantes.
À noter, aussi, sur le plateau principal des instruments aux dimensions imposantes comme cet immense radiotélescope Würzburg. Initialement utilisé comme radar par l’armée allemande durant la Seconde Guerre mondiale, il a été réquisitionné et transformé en outil scientifique. Installé depuis 1962 à Bordeaux, il permet de capter et d’étudier les ondes radio émises par les objets spatiaux. Il cessera d’être utilisé dans les années 1990. Comme d’autres observatoires en France et dans le monde, celui de Bordeaux devient vite obsolète car rattrapé par la ville et la pollution qui l’accompagne.
Coupoles et bibliothèque de science-fiction
Les activités scientifiques et les cours s’étiolent et en 2016, l’université de Bordeaux décide de déplacer le laboratoire d’astrophysique de Bordeaux ainsi que les dernières classes qui se tenaient encore à Floirac sur le campus de Talence pour rassembler les équipes et réduire les coûts d’entretien des instruments professionnels devenus inutilisables.
« Après notre départ, le site a été laissé à l’abandon, plusieurs effractions ont été signalées et il y a eu la crainte qu’il soit vendu à des promoteurs immobiliers », expliquait en 2018 à JUNKPAGE, Sylvia Lopez, informaticienne et cofondatrice de l’association Sirius.
« Nous n’avons jamais voulu vendre ce lieu », réagit aujourd’hui Olivier Pujolar, vice-président Partenariats et Territoire à l’université de Bordeaux. L’ambition semble en effet plus à l’ouverture des portes. Il faut dire que l’endroit recèle de nombreux secrets à valoriser. En premier lieu, les bâtiments scientifiques d’époque, inscrits sur la liste des monuments historiques en 2010. Ainsi, chaque coupole contient un instrument installé à l’époque de sa construction.
Sur le site, reste aussi les maisons du personnel de l’établissement éparpillées un peu partout avec quelques belles constructions comme la maison de l’ancien directeur. À l’intérieur de la bâtisse au style provençal, le mobilier d’époque encore en place. De vieilles affiches désuètes semblent attendre d’être enlevées, le jour où une nouvelle fonction sera trouvée pour la maisonnée.
Visite royale et avenir en construction
Un patrimoine historique qui se couple à l’artistique avec la présence d’une mystérieuse bibliothèque de science-fiction ! Pas d’action surnaturelle en jeu ici, elle a été installée en 2017 par Suzanne Treister, à l’intérieur de la coupole du Grand Équatorial dans le cadre de son œuvre Les Vaisseaux de Bordeaux. L’Observatoire/bibliothèque de science-fiction complète le triptyque qui comprend aussi Le Vaisseau spatial installé aux Bassins à flot et Le Puits/bibliothèque sur la Technique à contempler quai des Queyries.
Dans le catalogue des singularités, difficile de passer à côté de la « forêt expérimentale ». Depuis 2021, sur 9 hectares, se déploie une étude scientifique menée de concert par l’université de Bordeaux et IINRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) visant à étudier scientifiquement la réponse des forêts face au changement climatique.
De temps en temps, du public, majoritairement scolaire, déambule sur les plateformes en bois pour observer ces arbres truffés de capteurs donnant le pouls d’un monde végétal en perpétuelle adaptation. Un projet grandeur nature intéressant au-delà de nos frontières, comme le prouve la visite du souverain britannique Charles III en septembre 2023.
Décor de série
Des particularités qu’il est possible de découvrir au rythme de visites, de journées dédiées et autres spectacles, même si le calendrier se construit pour l’instant au coup par coup. « Progressivement, nous verrons pour continuer à ouvrir plus l’observatoire mais pour l’instant il faut que nous arrivions à trouver un équilibre de financement », détaille Olivier Pujolar.
Pour l’heure, il faut redescendre à contrecœur l’allée principale pour repartir, le spectacle INTI-ME venant de s’achever. Pour qui voudrait revoir l’observatoire sans attendre une prochaine occasion, il existe toutefois un moyen limpide : il suffit d’allumer la télévision.
L’exercice peut sembler étonnant, pourtant cet immense parc scientifique sert de décor depuis de quelques saisons à la série Alexandra Ehle où Julie Depardieu incarne une brillante médecin légiste en quête de justice. Un tournage qui représente aussi une manne financière qui servira peut-être aux nombreux travaux indispensables à mener sur place comme la restauration des toits des coupoles. Le tout pour dessiner un futur radieux à ce site qui n’a sûrement pas fini de briller.
Texte et photos : Guillaume Fournier
Informations pratiques
Observatoire astronomique de Bordeaux,
2, rue de l’Observatoire, Floirac (33).