Autofiction électrique sur le deuil, thriller onirique sur les rapports de domination : au Théâtre de l’Union, à Limoges, Elsa Granat et Charlotte Lagrange, deux artistes associées, éclairent le réel de leurs écritures hybrides.
À son arrivée au Théâtre de l’Union à Limoges, Aurélie Van Den Daele a d’emblée affirmé une ligne forte autour « du vivant ». Pour cela, elle s’est entourée de quatre artistes associées : Alice Laloy (aujourd’hui nommée à la Comédie de Béthune), Gurshad Shaheman (auteur, performer, fondateur de la La Ligne d’Ombre), Elsa Granat, du collectif Tout un Ciel, et Charlotte Lagrange, à la tête de La Chair du Monde. Tous reliés, selon la directrice de l’Union, par « l’expérience d’écritures hybrides, scéniques, autofictionnelles ».
Elsa Granat et Charlotte Lagrange, tout à la fois autrices et metteures en scène, présentent deux pièces en ce début du mois de mai. Le massacre du printemps de la première se jouera du mercredi 3 au vendredi 5 mai. Il faudra attendre jusqu’au mardi 9 mai pour la pièce Les petits pouvoirs de Charlotte Lagrange
Elsa Granat, pas une inconnue du théâtre de l’Union
Elsa Granat a déjà étrenné le plateau du théâtre de Limoges, avec sa singulière relecture du Roi Lear, King Lear Syndrome ou les mal-élevés. Une pétaradante pièce sur le grand âge où le monarque vieillissant de Shakespeare, victime d’un AVC, se retrouvait envoyé en ehpad par ses deux filles. La thématique du soin et de la place des aînés dans la société y prenait des accents foutraques et absurdes. Sacrément vivifiants.
Dans Le Massacre du printemps, qu’Elsa Granat a créé en 2017 et qu’elle tourne à nouveau, il est aussi question de vieillesse, de maladie, de mort. Et d’un deuil. Le sien, lorsqu’elle perd ses deux parents d’un même cancer, à quelques mois d’écart. L’autofiction se diffracte ici en trois facettes d’un même personnage, joué par trois actrices différentes.
Une adolescente au chevet de sa mère, une adulte enceinte et une femme vieillie en accéléré par le décès soudain de ses parents. Sans pathos et avec une puissance électrique du jeu et du texte, Elsa Granat livre une œuvre de la résilience et de la reconstruction, autant qu’une révolte intime contre les blessures de la perte.
Thriller franco-japonais avec Charlotte Lagrange
Dans Les Petits Pouvoirs, Charlotte Lagrange, s’éloigne, elle, du réel et de l’autofiction, pour plonger dans un thriller franco-japonais, où les rapports de domination au travail s’aiguisent dans une agence d’architecture hype. Les deux fondateurs, un homme et une femme (mais pas un couple), rêvent d’un projet sur une île déserte du Japon, ce pays où réside une de leurs idoles.
À son arrivée dans l’agence, la jeune Laia observe ce qui se joue entre ces deux personnages autant qu’elle subit très insidieusement ce qui ressemble à du harcèlement sexuel. Le décor, presque un plateau de cinéma, relie deux mondes, celui du fantasme — le Japon avec onsen fumants et nourriture exotique — et celui de l’agence.
Ce monde du travail intellectuel et créatif si sûr d’être au-dessus de la mêlée des petites bassesses du pouvoir, mais qui plonge pourtant dans les perversions de la domination sans même s’en rendre compte. L’écriture de Charlotte Lagrange préfère alors dévier vers le thriller fantastique plutôt qu’appuyer des sentences moralistes et didactiques. Avec hémoglobine et couteaux acérés. Tel un film gore lucide et insolent.
Stéphanie Pichon
Informations pratiques
Le Massacre du printemps, texte et mise en scène d’Elsa Granat,
du mercredi 3 au vendredi 5 mai, 20h, sauf les 4 et 5/05, à 19h,
Théâtre de l’Union, Limoges (87).
Les Petits Pouvoirs, texte et mise en scène de Charlotte Lagrange,
du mardi 9 au jeudi 11 mai, 20h, sauf les 10 et 11/05, à 19h,
Théâtre de l’Union, Limoges (87).
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