Sis à l’emplacement ayant accueilli la vénérable Absinthe, et, plus récemment, le divin Hutong, Panaille, table à trois têtes et six mains, Manon Cazes, Martin Lafont et Jean-Marie Perrot, est une très heureuse surprise méritant la plus haute attention.
Sur le papier, l’affaire semble relever du défi : reprendre une légende de la gastronomie bordelaise, à deux chefs, qui plus est ! « Les décisions compliquées se règlent au shifumi. » Martin Lafont, trentenaire béarnais, sans accent mais avec moustache de cadet de Gascogne, n’en fait pas un plat (hum). Si seulement les crises diplomatiques pouvaient ainsi se conclure….
Au fourneau avec son ami breton Jean-Marie Perrot, il semble très bien s’accommoder du partage des tâches (le froid, le chaud, le végétal, l’animal, le sel, le poivre). L’un comme l’autre affichent de belles lettres. Stéphane Jégo, Christian Etchebest, Amandine Chaignot et La Maison de l’Horloge, recommandable affaire familiale à Orthez, pour Martin. Juan Arbelaez, Alain Passard, et force voyages (Angleterre, Norvège, Australie, États-Unis) pour Jean-Marie Perrot. Jeunes, certes, mais le cuir bien tanné. Et une envie partagée : la simplicité. « On veut que tout le monde comprenne la carte. On veut qu’il y ait de la vie. »
Entre tour de force et petit miracle
Ne pas oublier Manon Cazes, qui, bien que partageant la vie de l’un, mène les deux à la baguette dans ce projet où l’amitié n’est pas un vain mot. Encore moins un élément de langage. Titulaire d’un BTS en cuisine, passée par de longues études en hôtellerie et forte d’expériences parisiennes (Anne-Sophie Pic, Potel et Chabot), on devine la cheville ouvrière de cette association du bon goût.
Le trio a discrètement apposé sa patte sur le lieu, s’entourant des talents du studio de design Abmo, de la Maroquinerie Dahu, d’Ici Marin, et du cabinet d’architecture d’intérieur de Juliette Touton, tout en préservant l’essentiel : une salle cocon de 30 couverts et l’inestimable patio, désormais pourvu d’un bar en zellige, vert bronze, aussi sobre que chic.
L’assiette est un petit miracle. Un tour de force à 23€ pour une formule complète à l’heure du déjeuner avec une carte hebdomadaire déclinée en 2 entrées, 2 plats, 2 desserts et un dessert du jour. Bravo. Et c’est comme ça depuis fin mai. Le soir, formule (3 entrées, 1 plat au choix — poisson, viande, végétarien —, dessert) bimensuelle à 43€.
Basilic de Floirac et confiture de pêches
La carte des vins, elle, est aussi courte que curieuse n’accordant pas aux bordeaux la portion congrue et embrassant goulument le Sud-Ouest. Bon, c’est pas l’tout, et l’assiette ?
Du sérieux. De l’exquis. Pommes de terre, hareng fumé et mayonnaise épicée avec salicorne et pickles d’oignons rouges, l’entrée classique qui dégomme par son équilibre des mets et des textures. En face, salade de carottes en tagliatelle, rehaussées de feta, de citron et de basilic, la simplicité érigée en art de vivre.
Vendredi, jour du poisson, c’est chou-fleur rôti, sublimé par le cumin, le basilic (de Floirac, oui Monsieur !) et du raïta. Comment dit-on « Du rab’ ? » en bengali ? Plus mécréant ? Volaille jaune des Landes, sauce poulette et champignons bruns, y compris en purée montée au beurre. Succulent au carré.
Une douceur ? Combat de cobras entre la mousse au chocolat noyée sous une pluie de noisettes et quelques traits de caramel et un yaourt (au siphon) verveine, parsemé d’un crumble de sablé à l’huile d’olive et confiture de pêches en contrebande. Le final idéal.
Croquettes, arancini et amaro
Pour s’hydrater le gosier, un verre de Château Aurore, Les Fleurs du Mal (8€), un entre-deux-mers loin de la typicité de l’appellation, puis un verre de Domaine Gueguen Côtes Salines (9€), le genre de bourgogne avec un goût de reviens-y. À noter, au crépuscule, tapas (7 à 15€) où trônent fièrement croquettes de cochon confit ou arancini chorizo et Ossau Iraty.
Sinon, ce blase ? « À l’origine, c’était Pagaille, mais les aléas de l’inscription à l’INPI en ont décidé autrement à deux semaines de l’ouverture. De l’improvisation est né ce nom. » Ultime recommandation, ne pas demander de foie de veau. Commandez plutôt un amaro de la maison Meletti.
Marc A. Bertin
Informations pratiques
Panaille
137, rue du Tondu, 33000 Bordeaux
Du mardi au samedi, 12h-14h et 19h-22h.
Réservations 09 87 74 45 86 ou en ligne