À Poitiers et à Cognac, deux occasions de (re)découvrir l’œuvre essentielle de la dramaturge franco-sénégalaise Penda Diouf, fraîchement metteuse en scène, qui imprime le monde théâtral de son écriture poétique et politique. Et porte les voix marginalisées, d’hier et d’aujourd’hui.

Surgie à 19 ans avec sa pièce Poussière (2000), l’autrice Penda Diouf, auréolée de multiples récompenses depuis, s’essaye pour la première fois à la mise en scène, avec son texte Pistes, écrit en 2017, et publié en 2021. Une envie, dit-elle, « d’explorer [s]a propre vision de cette histoire en partie autobiographique », déjà portée à la scène par d’autres.

Road-trip sur les routes de la mémoire

Ce monologue chapitré a l’allure d’un road-trip sur les routes de la mémoire. S’y entrelacent la petite histoire, celle de Penda, enfant, puis adolescente discriminée pour sa couleur de peau, et la grande, celle des Hereros et des Namas, en Namibie, victimes du premier génocide du XXe siècle commis par l’armée allemande.

De l’intime à l’universel, à travers le « je » s’élève un chœur de voix trop longtemps tues. En fil conducteur, la question du corps noir, à la fois humilié, massacré, et sujet en mouvement, tel celui du sprinteur namibien Frankie Fredericks, qui fascine l’adolescente férue d’athlétisme.

Des pistes de course à celles du désert du Namib, il n’y a qu’un pas que Penda Diouf franchit, lors d’un voyage en 2010, relaté dans le texte, où elle découvre ce pan sombre du passé namibien. Autant de terrains ocres que ses mots parcourent alors pour déterrer ces vies invisibilisées et les traumas enfouis. Son écriture, comme une couture, révèle les trous de la mémoire officielle en même temps qu’elle les comble, et sublime les cicatrices. « J’aime les plaies. Ce qu’elles laissent en nous, ce qu’elles laissent sur nous », écrit-elle de sa prose musicale qui avance par reprises.

« Jeunes textes en liberté »

Au plateau, l’interprétation est confiée à la voix et au corps, mis en valeur, de Nanyadji Ka-Gara. « Son regard a révélé des choses en germe dans mon texte, comme la question du rituel », confie Penda Diouf. Sa pièce précédente, La Grande Ourse (2016), qui glisse nettement vers un univers onirique, traite elle aussi des thèmes de l’oppression et du racisme systémique. Elle raconte le destin bousculé d’une mère de famille noire, victime de pression sociale et policière. Face à l’injustice, motivée par une rage qui monte, elle se transforme en ourse pour se libérer.

Créée fin 2024, la mise en scène épurée, à la scénographie suggestive, est signée Anthony Thibault, un compagnon de route artistique de Penda Diouf depuis 2015. Ensemble, ils ont créé le label « Jeunes textes en liberté », qui soutient les dramaturges émergents et fait entendre une plus grande diversité de récits et de voix.   

Hannah Laborde

Informations pratiques

Pistes…, texte et mise en scène Penda Diouf,
jeudi 3 avril, 21h,
centre d’animation Beaulieu, Poitiers (86).

La Grande Ourse, texte Penda Diouf, mise en scène Anthony Thibault (Cie La Nuit te soupire),
jeudi 10 avril, 20h30,
Avant-Scène, Cognac (16).