FESTIVAL INTERNATIONAL DE BANDE DESSINÉE D’ANGOULÊME. Pour son demi-siècle d’existence, le FIBD fait feu de tout bois pour fêter la narration séquentielle avec une nouvelle salve d’expositions, et sa traditionnelle polémique annuelle. Mais que serait un FIBD sans polémiques ?
Le Festival International de la BD de retour à Angoulême
En un demi-siècle, c’est peu dire que le monde de la bande dessinée a évolué et le festival de la bande dessinée d’Angoulême s’est fait le reflet des mutations économiques, esthétiques, culturelles et sociales du médium, accompagnant, parfois non sans mal, les volontés de changement d’un secteur qui a vu ses chevilles ouvrières — les créateurs — de plus en plus précarisées par la production galopante et des contrats de publication au rabais.
Caisse de résonance pour tout le secteur, le festival a traversé moult tempêtes (conflits internes, mode d’attribution des Grands Prix contesté, sous-représentativité des femmes et des étrangers au palmarès…) avant de redresser la barre en offrant notamment des expositions qui ont fait date ces dernières années (Claveloux, Corben, Tsuge, Tezuka…).
Après une annulation et un festival décalé pour raisons sanitaires, cette édition avait tout pour marquer dignement le temps des retrouvailles avec un focus sur la talentueuse Julie Doucet, Grand Prix inattendu venu du Québec. Caramba encore raté !
Le chevelu et controversé Bastien Vivès
C’était sans compter sur le scandale d’une « carte blanche » confiée au chevelu et controversé Bastien Vivès. Prodige du dessin (rapidement pillé), le trentenaire a développé une œuvre éclectique où se mêlent relecture du shônen nekketsu (Lastman), romantisme fleur bleue (Le Goût du chlore, Dernier week-end de janvier…), récit initiatique (Polina), reprises diverses (Corto Maltese, Cat’s Eye…) et créations plus sulfureuses qui n’hésitent pas à foncer allégrement dans le mauvais goût et la transgression potache. Pas le dernier pour attiser les passions sur les réseaux, l’auteur s’est vu cloué au pilori par deux pétitions et diverses menaces, accusé de promouvoir ouvertement la pédopornographie dans certaines de ses œuvres aux partis pris clairement grotesques et burlesques (Petit Paul, Les Melons de la colère…) à quoi se sont ajoutées des déclarations balourdes de l’artiste déterrées par ses contempteurs, trop heureux de prendre ses sorties hasardeuses pour argent comptant. Bigre !
Transformé en pervers criminel, Bastien Vivès est devenu la cible expiatoire de pseudo-progressistes à l’œil plus affûté que la justice – les livres en question (et l’auteur) n’ayant fait, rappelons-le, l’objet d’aucune poursuite judiciaire. Qui fera donc les frais de la prochaine chasse à l’obscène ? Quels seront les autres créatifs pointés du doigt pour des idées jugées inconvenantes, malaisantes ou complaisantes ? Crumb ? Maruo ? Liberatore ?Moore ? Neaud ? Raconter l’histoire d’un serial killer sadique fait-il d’un écrivain de polar un dangereux détraqué en puissance ? Visiblement aujourd’hui la réponse est oui, car devant la levée de boucliers et le danger pour la sécurité de l’auteur, le Festival s’est résolu finalement à déprogrammer l’événement. Ouf, la morale est sauve…
Pour refroidir les esprits, les festivaliers pourront cependant profiter d’autres belles expos, qui seront, on l’espère, maintenues, comme celle consacrée à Marguerite Abouet, scénariste d’Aya de Yopougon et Akissi, qui dévoilera les coulisses de son imaginaire né dans les rues du quartier d’Abidjan désormais bien connu.
Outre l’expo qu’on devine émouvante consacrée à la bientôt centenaire Madeleine Riffaud, résistante, devenue héroïne de la BD de Morvan et Bertail, on prendra le temps de jeter un œil sur la dizaine de talents émergents venus du monde entier rassemblés au Pavillon Jeunes Talents et de faire un crochet par « Couleurs ! », l’expo générique dédiée au rôle de la couleur dans la bande dessinée. Légende vivante, Philippe Druillet alias « The Genius » (dixit Alex Ross) aura aussi droit à son expo, sans aucun doute, monumentale.
Le manga, un axe fort du FIBD d’Angoulême
Depuis plusieurs années, le manga reste toujours un axe fort du FIBD qui parvient à attirer des grands noms de l’archipel avec, cette fois encore, un focus attendu sur une pointure populaire du seinen contemporain, Hajime Isayama, auteur du best-seller à tout niveau monstrueux, L’Attaque des Titans, qui s’est achevé en octobre 2021 au bout de 34 tomes.
Sans surprise, le co-directeur artistique du festival Fausto Fasulo, par ailleurs rédacteur en chef de Mad Movies, a choisi de mettre en avant une autre figure rentre-dedans en la personne de Junji Ito, ancien assistant dentaire devenu l’un des maîtres du manga d’horreur à qui l’on doit le tordu Spirale et moult récits grand-guignolesques dessinés avec une maniaquerie dingue pour le détail parfois bien dégueulasse.
Du côté des maîtres qui ont fait l’histoire du manga, c’est au tour de Ryoichi Ikegami d’être mis à l’honneur. Surtout connu en France pour son tueur émotif Crying Freeman (dont le héros hiératique est calqué sur le jeune Alain Delon), le dessinateur a produit une œuvre d’une richesse incroyable entamée dans les années 1960 comme assistant de Shigeru Mizuki, avant de travailler sur une version nippone de Spiderman, puis de se faire le spécialiste incontesté de la « romance virile » avec Kazuo Koike ou Buronson (scénariste qui a choisi son pseudo en hommage à Charles Bronson !) mythifiant la figure des yakuzas aussi gominés que tatoués, tour à tour cœurs tendres ou icônes antisystème.
Bref, beaucoup de bastons, de cris et de larmes en prévision pour marquer dignement ces 50 ans.
Informations pratiques
Festival International de la BD d’Angoulême
Du 26 au 29 janvier