BALLET DE L’OPÉRA NATIONAL DE BORDEAUX – Du 10 au 31 décembre au Grand-Théâtre, le Ballet reprend Cendrillon de David Bintley créé en 2010 pour le Birmingham Royal Ballet. On peut juger de la puissance d’une compagnie par la qualité de son corps de ballet, aime à rappeler Éric Quilleré directeur de la danse à Bordeaux. Rencontre avec l’un de ses piliers, Marc-Emmanuel Zanoli, 39 ans dont 18 au sein de la troupe et fou amoureux de son art.
✍️ Propos recueillis par Sandrine Chatelier
Que représente Cendrillon pour vous ?
C’est d’abord une madeleine de Proust ; le ballet de Noureev avec Sylvie Guillem, Charles Jude et Éric, notre directeur dans le rôle de l’assistant, que je regardais sur une cassette VHS. La première fois que j’ai vu la version de David Bintley avec cette grande cuisine froide, je me suis dit « oh ! là là, que c’est glauque » ! Et en fin de compte, je trouve ça génial ! Cela crée un contraste intelligent entre l’acte I, glacial, à l’image de la vie de Cendrillon, et la féerie qui fait tant de bien ensuite : le décor s’écarte et une toile étoilée magnifique apparaît, avec la variation des fées, les étoiles, et le carrosse. Sans parler du palais de l’acte II et de la salle de bal. La production est magnifique ! Le seul point délicat en tant qu’interprète, c’est que le décor est très envahissant sur la scène.
Pour un danseur, la période de Noël relève du marathon, avec 19 représentations à enchaîner…
C’est très intense ! On n’a pas vraiment de vie en dehors du théâtre. Ma famille est en Bretagne et j’ai rarement fêté Noël avec elle. La pause du 24 décembre permet de récupérer. Il faut savoir garder la tête froide, éviter de se fatiguer pour rien et répartir son énergie à bon escient.
Est-ce le moment de lever le pied en répétition pour se préserver?
Chacun fonctionne différemment. Moi, je me donne toujours à fond. Chaque journée commence par 1h30 de cours avant les répétitions, puis le spectacle. C’est là où tu te nettoies, où tu mets ton corps en condition pour assurer la journée. C’est dans la régularité de mon travail que je prends ma force ; que je mets toutes les chances de mon côté pour que cela fonctionne ensuite sur scène. Le travail me rassure. Après, il faut gérer sur la durée, l’anxiété, les petits bobos qui apparaissent… Il faut connaître son corps, être très à l’écoute, mais sans non plus être alarmiste au moindre muscle du mollet qui frétille un peu !
De plus en plus, la condition du danseur est prise en compte ; il est à présent considéré aussi comme sportif de haut niveau.
Oui, et c’est plutôt rassurant ! Mais j’ai l’impression que la génération actuelle s’écoute peut-être un peu trop. Elle a une envie de danser réelle, sans doute décuplée par la frustration provoquée par l’éloignement de la scène durant deux ans à cause du Covid, ce qui est énorme dans notre carrière. Mais repousser les limites du corps permet d’acquérir de la technicité et de l’assurance. Les danseurs qui ont connu les ballets de Charles Jude pouvaient danser plusieurs rôles dans la même soirée. Dans La Belle au bois dormant (3 actes), je faisais la fée Carabosse sur pointes et Diamant sur demi-pointes ; c’était un choc musculaire, mais aussi un challenge. C’est là où tu vis pleinement ton rêve d’être danseur.
« Moi, je me donne toujours à fond. Chaque journée commence par 1h30 de cours avant les répétitions, puis le spectacle. C’est là où tu te nettoies, où tu mets ton corps en condition pour assurer la journée »
Marc-Emmanuel Zanoli
Après le cours, ce sont les répétitions, de 14h à 19h…
Puis, une semaine avant la première, les répétitions en costumes. Ce qui change pas mal la donne. Les garçons ne doivent pas être trop serrés dans leur pourpoint afin de pouvoir exécuter les portés ; les filles doivent être à l’aise dans leur tutu. L’atelier couture effectue des retouches.
On se familiarise avec les décors, les changements de costume, la pente de la scène [dite « à l’italienne », elle est inclinée de 5 % afin d’améliorer la visibilité du spectateur, NDLR]. L’orchestre arrive quelques jours avant la générale. Pour le bal, nous, les garçons, portons des manteaux très lourds, 7 kilos ! J’ai pesé le mien ! Le poids à la réception des sauts n’est plus le même ! Ni les mouvements. Les articulations des genoux, des chevilles, des hanches même, en prennent un sacré coup ! À nous de renforcer ces zones du corps dans notre préparation physique. J’ai beaucoup travaillé avec Luc Senegas, l’un des kinés des rugbymen de l’UBB. D’autant que je me suis fait opérer d’une hernie cervicale en juin dernier.
Que représente la compagnie pour vous ?
Comme dans une famille, il peut y avoir des frictions ou des affinités, mais il y a une écoute, une bienveillance. On est attentifs et solidaires quand quelqu’un aborde un rôle important ou affronte une épreuve personnelle. Les danseurs, anciens et actuels, font partie de ma vie et de mon cœur, même si parfois on peut se taper sur les nerfs [Rires].
Il n’y aura aucune étoile pour Cendrillon, seulement des solistes. Sara Renda, la dernière de la compagnie, a démissionné cet été ; les autres, en fin de carrière, n’ont pas été remplacées. Un recrutement ou une nomination est annoncée pour 2023. Que représente une étoile pour le corps de ballet ?
Elles sont indispensables. Même pour moi, qui n’ai plus que deux ans avant d’arrêter ma carrière de danseur. On a toujours besoin d’avoir des gradés qui font rêver, qui inspirent et qui donnent envie d’être à leur niveau, de se dépasser. Quand il y avait des Oksana, des Igor et des Roman (1), même si je savais je n’atteindrais jamais leur niveau, j’avais envie d’être à leur hauteur.
(1) Les dernières étoiles de la compagnie, Oksana Kucheruk, Igor Yébra et Roman Mikhalev, qui ont mis fin à leur carrière.
Informations pratiques
Cendrillon
Chorégraphie de David Bintley, Ballet de l’Opéra national de Bordeaux, direction Éric Quilleré, musique de Prokofiev Orchestre national de Bordeaux Aquitaine, direction Pierre Dumoussaud
Du samedi 10 décembre au samedi 31 décembre, 20h
Sauf les 18/12, 15h, le 16/12, 20h (audiodescription), le 20/12, 15h (version courte pour les familles)
Grand-Théâtre, Bordeaux (33)
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