Jusqu’au 29 décembre, la Fondation d’entreprise Martell, à Cognac, présente « Continuum » la première exposition monographique consacrée à JB Blunk, singulière figure américaine, qui n’obéit qu’à une seule ligne de conduite : « l’art comme mode de connaissance, l’art comme mode vie ».
Il serait aisé de ne s’en tenir qu’à la définition, celle d’une « continuité dans l’espace ou le temps ». Toutefois, l’intitulé pourrait aussi rendre hommage à l’œuvre iconique absente de l’exposition de JB Blunk à la fondation Martell à Cognac jusqu’au 29 décembre.
Mais, avant tout, qui était James Blain Blunk ? Né en 1926, à Ottawa, Kansas, ancien étudiant en physique, réorienté en art à UCLA, il s’y découvre, grâce à Laura Andreson, une inextinguible passion pour la céramique. Démobilisé après avoir servi lors de la guerre de Corée, il entreprend alors, entre 1952 et 1954, un voyage hautement initiatique au Japon, influencé par les maîtres Kitaōji Rosanjin et Isamu Noguchi. On imagine, dans un pays occupé par les États-Unis après Hiroshima et Nagasaki, la stupéfaction des autochtones face à ce GI obsédé par la mythique céramique de Bizen…
Walden d’un nouveau genre
Revenu aux États-Unis, il se fixe, en 1956, à Point Reyes, en Californie du Nord. Non loin d’Inverness, il construit de ses mains son atelier, son four à céramique et son opus magnum : sa maison au sommet d’une colline avec vue sur l’océan Pacifique. Durablement marqué par le courant Mingei, il n’a de cesse d’appliquer dans ses pratiques — architecture, céramique, sculpture, peinture — le principe du geste simple et élégant, fidèle à l’enseignement de Tōyō Kaneshige, qui l’initia au shibui.
Cet espèce de Walden a trouvé sa querencia entre jardin zen, shinto et communion avec son environnement, glanant pierres et bois (flottés ou souches issues de l’exploitation forestière) qu’il travaille à la tronçonneuse pour façonner des pièces d’une stupéfiante sensualité. « J’habite près de la mer. Je ramène presque tous les jours quelque chose de la plage. Je vois des choses qui me touchent le plus. Elles expriment ce qui est déjà en moi. »
Pas un Facteur Cheval californien
Pour Anne-Claire Duprat, directrice de la Fondation d’entreprise Martell, la découverte de Blunk, ce fut d’abord un catalogue d’exposition, déniché dans une librairie, puis la visite de sa maison, lorsqu’elle était encore en poste aux États-Unis. « JB Blunk n’était pas un Facteur Cheval californien même s’il n’a cessé d’amasser, de collecter. Sa carrière est loin de l’art brut. Son travail établit un lien avec le projet de la Fondation : les ressources d’un territoire, l’artisanat, les savoir-faire vernaculaires, une création permanente décloisonnant les pratiques. Sans omettre la dimension artisanale qui fait œuvre, constitue une œuvre totale. »
Déployé sur 900 m2, réparti en 6 sections thématiques – Japon, Paysage, Maison, Archétypes, Processus et Art dans l’espace public –, le parcours offre une réelle immersion. La scénographie d’une belle épure, conçue par le designer italien Martino Gamper, est « une allégorie d’une forêt de séquoias, où l’on sait trouver des moments d’intimité malgré la majesté des arbres », selon Mariah Nielson, fille de l’artiste, désormais à la tête du JB Blunk Estate. Commissaire associée, elle a consacré trois ans pour organiser non seulement les archives paternelles, mais également une recension de sa production.
Plus de 150 pièces
Le corpus présenté — plus de 150 pièces — sublime la symbiose recherchée ; cette perpétuelle harmonie entre plein et vide, fonctionnel et sculptural. Du minuscule au monumental, de la subtilité des dessins à l’encre sur papier de riz au savoureux Penis Stool, de l’incroyable vaisselle aux commandes publiques (19 disséminées entre Californie, Nouveau-Mexique, Wisconsin, Vermont et État de New York) en passant par les bijoux, les films, les photographies et les précieux artefacts (catalogues, correspondances, ouvrages) et, forcément, l’œuvre iconique, sa maison, « impossible à déplacer »,
« Continuum » célèbre une vie, et non une carrière, entièrement vouée à créer à partir de peu, voire de rien, où se croisent autant Shōji Hamada que Constantin Brancusi, l’éphémère et l’éternel, l’âpreté et le raffinement. « On m’a donné l’opportunité de vivre et travailler dans un endroit et, de tout mon être, c’était ce que j’espérais pouvoir faire. »
Marc A. Bertin
Informations pratiques
« Continuum », JB Blunk,
jusqu’au dimanche 29 décembre,
Fondation d’entreprise Martell, Cognac (16).