Comment poursuivre un engagement affirmé en faveur de la culture lorsque la question budgétaire vous rattrape par la manche ? Dans quelle mesure une collectivité locale, dont la culture n’est pas une compétence première, mais un choix résolument politique et volontariste, peut-elle maintenir des dispositifs initiés de longue date ? Tentatives de réponses en compagnie de Carole Guère, vice-présidente du Conseil départemental de la Gironde en charge des dynamiques associative, sportive et culturelle, et d’Hélène Fribourg, directrice Culture et Citoyenneté du Conseil départemental de la Gironde.

Le 28 avril, dans les colonnes du quotidien Sud Ouest, le président du Conseil départemental de Gironde, Jean-Luc Gleyze, signalait l’état des finances de sa collectivité confrontée à une baisse des recettes et une hausse des dépenses. « L’objectif est de ne pas être mis un jour sous tutelle de la préfecture. » « Au bord de l’asphyxie », il faut opérer des choix. Ainsi, les politiques de soutien aux acteurs culturels sont à la baisse, hormis le dispositif PLACE1. Pourquoi ?

Carole Guère : Évidemment, veiller au bon respect d’un équilibre budgétaire entraîne des répercussions, et nous n’oublions pas ce volet dans l’action culturelle. La diffusion sur un territoire relève de la vigilance de chacun en période de turbulences mais sans se départir d’un regard bienveillant. Nous sommes désormais en phase de réévaluation. Ainsi s’attarde-t-on sur la question de l’emploi généré tant auprès des structures que dans les politiques mises en œuvre, et, notamment, les emplois des « gens de l’ombre » comme les techniciens.

En Gironde, la culture abonde dans les autres actions menées par le Conseil départemental. On alimente les collèges avec le volet de l’éducation artistique et culturelle ou Collège au cinéma, dispositif d’éducation à l’image. On alimente le social avec Mix MECS. On travaille avec la délégation de l’Environnement lorsque l’on met en place des déambulations ou que l’on organise des siestes musicales au domaine de loisirs de Blasimon, au cœur de l’Entre-deux-Mers. Ce ne sont que quelques exemples. La culture n’a pas pour vocation à être confinée sur elle-même, encore moins dans l’entre-soi. Enfin, en temps de restriction budgétaire, il faut travailler différemment même si on ferme des vannes. Je pense que les acteurs culturels préfèrent vivre de leur métier plutôt que de toucher le RSA.

Hélène Fribourg : Le dispositif PLACE est supporté par le Fonds social européen et financé à 50% par le Conseil départemental de la Gironde. Nous accueillons 60 personnes par an ; des candidatures sont notamment orientées par les missions locales ou France Travail Spectacle Nouvelle-Aquitaine. C’est un accompagnement dans le domaine artistique et culturel de 4 mois tant dans le parcours professionnel que personnel avec un référent social et un tutorat dispensé par l’IDDAC2.

Le 15 mai 2024, le Département organisait une journée intitulée « L’éducation artistique et culturelle, au service du dialogue entre création, jeunesse et territoires ? » Le point d’interrogation a beaucoup d’importance. Mais que signifie pour vous cet engagement en faveur de l’EAC ?

C.G. : Un vrai sujet et un véritable axe de travail, évoqué lors de séances régulières avec Bordeaux Métropole, la Ville de Bordeaux, la DRAC3 Nouvelle-Aquitaine, le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, l’OARA4 et l’IDDAC au sein de notre gouvernance partagée. Concrètement, pour nous, l’EAC, c’est, par exemple, le soutien au travail de résidence des artistes dans les collèges.

H.F. : Le Conseil départemental de la Gironde a pris position de longue date, signant une convention avec la DRAC et le rectorat depuis plusieurs années. Le dispositif Collège au cinéma par exemple, préalablement évoqué et qui existe depuis 1989, est financé à 70% par le Département.

C.G. : L’EAC commence à la petite enfance avec le livre et doit se poursuivre durant toute la vie des citoyens, comme avec le projet L’un est l’autre, à destination des EHPAD et établissements et services pour personnes adultes handicapées pour un maintien dans l’action et la pratique culturelle.

H.F. : Exactement, l’EAC, c’est toute la vie. Il y a les dispositifs nationaux et ceux portés localement tel un artiste – un collège, temps de médiation et d’immersion porté par une équipe artistique d’un volume de 60 heures, avec une aide forfaitaire de 4 000 €. En l’occurrence, nous faisons le lien entre l’artiste et les enseignants quand c’est nécessaire, on participe à la réflexion sur le besoin, la conception du projet.

En cette saison, l’actualité, ce sont évidemment les Scènes d’été. Soutien aux compagnies girondines et aux festivals, itinérance sur le territoire, les fondamentaux sont respectés, y compris une large offre gratuite. Comment fait-on pour maintenir ce dispositif ?

C.G. : L’ambition, avec un budget conséquent de 672 935 €, c’est la manière dont nous « inondons » le territoire girondin tout en veillant à l’équilibre. Il faut le préserver car il accompagne tout l’été, il est très attendu et les demandes sont multiples : communes, associations, structures culturelles, compagnies et le public !

Les Scènes d’été sont avant tout au service des communes. La question de la répartition ne se pose pas car il est vain d’avoir plus ou beaucoup si tout est mal réparti, cela ne présente aucun intérêt. Le respect des équilibres prend également en compte les communes volontaires. Toutefois, nous associons dans les jurys sélectionnant les spectacles de chaque saison des communes ne nous ayant jamais sollicités. Autre valeur cardinale, plus petite est la commune, plus grand est le soutien, jusqu’à 50% sur les droits de cession d’un spectacle. On informe, on explique grâce à l’action des conseillères en développement territorial. C’est la force du réseau qui donne envie.

L’aspect touristique revêt aussi son importance, non ?

C.G. : Absolument, Teuillac, Haute Gironde, 900 habitants accueillant 15 000 festivalierslors de Celti’Teuillac, cela a des répercussions. La Gironde ne saurait se réduire au phare de Cordouan ni au bassin d’Arcachon. Et, outre ce pan touristique, il faut souligner l’importance primordiale du lien social induit. Le bénévolat est la première chose que soulignent les élus. Sans parler des rencontres avec le public.

Nonobstant le contexte économique, le Département de la Gironde a lancé un appel à projets destiné à favoriser l’émergence de propositions artistiques et culturelles. Celles retenues seront intégrées à la programmation des Scènes d’été en Gironde, saison 2025. Il faut y croire et ne jamais baisser les bras ?

C.G. : Y croire et résister ! Il faut donner envie et être soi-même porteur de la découverte culturelle. Rechercher de nouveaux artistes, par exemple via le tremplin jeunes : Talents d’avance. C’est une histoire de transmission. Si nous baissons les bras sur l’action culturelle, dès lors, nous nous asseyons sur le principe de démocratie.

On s’inscrit toujours dans une logique de l’après-pandémie car dans les esprits persiste encore ce souvenir de vies mises entre parenthèses. Les réductions budgétaires entraînant une remise en cause et en question de tous les dispositifs, il faut une prime à la culture hors les murs et non une culture canapé. Agir pour la culture est plus que jamais nécessité.

Le domaine départemental de Nodris, à Vertheuil, dans le Médoc, a été inauguré en 2020 avec deux volets : agricole et culturel. Quel bilan sait-on tirer ?

H.F. : Les travaux de restructuration et de rénovation ne sont pas encore achevés, toutefois, c’est une formidable boîte à outils, avec des équipes sans cesse en mouvement et en recherche de lien et de créativité sur ce territoire. biblio.gironde et l’IDDAC sont parties prenantes. On y croise aussi du social et de l’économie sociale et solidaire. Il n’y a pas de feuille de route figée, simplement une adaptation permanente à la couleur locale en fonction de la demande ou de la difficulté rencontrée.

Depuis 2011, à l’initiative du Conseil départemental de Gironde, en collaboration avec l’IDDAC, des jeunes placés dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS), dans le cadre de la protection de l’enfance, découvrent la création en rencontrant des artistes et en réalisant des œuvres. 2024, c’est la 9e édition de Mix MECS, restitution de ces travaux. Que cela dit-il de votre politique culturelle ?

C.G. : Que pour eux et pour nous, la restitution, c’est le Graal ! Un accomplissement, une fierté. Une traduction limpide de l’accès à la culture pour tous, y compris, et surtout, pour les publics les plus fragiles. Nos publics cibles sont ceux du Département : jeunes, personnes handicapées, publics empêchés… Voici une véritable dynamisation de l’action sociale via le prisme culturel. Ce travail avec les artistes est fondamental et Mix MECS crédibilise la production de ces jeunes ; nous sommes dans une dynamique de valorisation. Certains publics, certaines familles ne s’autorisent pas. Mix MECS, c’est tout le contraire.

Le soutien à la vie culturelle représente plus de 1 000 projets annuels. Sommes-nous toujours dans cette valeur ?

C.G. : Il n’a jamais été question d’objectifs quantitatifs à atteindre mais, plutôt, de projets à la rencontre de tous les publics, surtout les plus fragiles. D’ailleurs 800 projets pertinents vaudront toujours mieux qu’un millier dilué.

Le nombre a augmenté car la population du département est en expansion. Ainsi, quand, par exemple, on crée 13 collèges, il y a autant d’actions culturelles supplémentaires. Plus que tout, nous restons vigilants afin de ne pas concentrer la majorité des actions portées sur la métropole bordelaise.

On pourrait aussi citer le dispositif Talents d’avance, destiné aux jeunes circassiens girondins, de 15 à 26 ans, avec là encore un volet restitution publique dans le cadre du festival Un chapiteau en hiver, à Bègles.

H.F. : Ce recentrage sur le cirque, initié en 2023, fait suite à une volonté de valorisation des pratiques artistiques amateurs. Jadis, on alternait les disciplines. Face au spectre de la dilution, nous avons eu envie de mettre en lumière et en valeur le cirque. Un dispositif remarquable s’appuyant sur un réseau École du cirque de Bordeaux, Imhotep Cirque, KoMoNò CirCuS, cie Crazy R et des programmateurs — Association Asphyxie, Smart Cie, CLAP Champ de Foire de Saint-André-de-Cubzac, CREAC Bègles, Larural, théâtre Le Liburnia, scène nationale Carré-Colonnes. Un sacré pied à l’étrier.

  1. Le dispositif PLACE [Plateforme de coopération pour l’emploi culturel, NDLR] assure un accompagnement global, d’une durée moyenne de 4 mois, des personnes souhaitant consolider les différentes dimensions de leur parcours socioprofessionnel dans le domaine artistique et culturel. Accès selon critères, sur dossier et sélection.
  2. Institut départemental de développement artistique et culturel de la Gironde.
  3. Direction générale des affaires culturelles.
  4. Office artistique de la Région Nouvelle-Aquitaine.

Propos recueillis par Marc A. Bertin

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