Révolte, joie et insoumission. La chorégraphe Soraya Thomas implantée à La Réunion souffle des vents contraires, politiques et intimes sur la Nouvelle-Aquitaine.
Soraya Thomas crée depuis plus de 20 ans, établie sur l’île de La Réunion, sa « terre d’adoption, l’île qui a fait de moi l’artiste, la mère, la femme que je suis ». Cette implantation signifie à la fois une ouverture au monde, qui tire vers l’Afrique et l’océan Indien, mais aussi un éloignement des scènes de la métropole, et des tournées coûteuses et complexes.
Sa venue ce printemps en Nouvelle-Aquitaine — d’abord à Bordeaux et Limoges, puis en Dordogne — fait donc un peu événement.
Rayonnement en trois temps
C’est en 2018, avec Head Rush, qu’elle vient pour la première fois à Bordeaux. « Stephan Lauret [directeur de la Manufacture CDCN, ndlr] l’avait vu à La Réunion, et je le remercie vraiment d’avoir diffusé ce travail. » Depuis la relation est fidèle, puisque la Manufacture a accueilli en 2022 son solo Et mon cœur dans tout cela ? en 2022, et, en mars dernier, Souffle.
Cette pièce de groupe a aussi joué à la MAD de Limoges en suivant, en y ajoutant une version participative pour 145 élèves. En avril, c’est l’Agence culturelle départementale Dordogne–Périgord qui prend le relais, en proposant à la chorégraphe de rayonner en trois temps (son solo, une sortie de résidence et une performance) autour de l’exposition « Corps ».
“Une pièce-manifeste sur le corps féminin noir”
Avec sa compagnie Morphose, Soraya Thomas aime créer par cycles thématiques. Et mon cœur dans tout cela ? et Souffle font partie du triptyque sur « la révolte et l’intime », entamé avec La Révolte des papillons. Quand on lui demande d’où vient ce sentiment de révolte, elle répond très vite, « des dernières élections présidentielles et de la montée des extrêmes. Naïvement je croyais que l’île, avec sa mixité, son métissage, était protégée. Je me suis trompée ».
Si La Révolte des papillons explorait, dans la rue, la question des frontières et des migrations, son solo la met véritablement à nu, dans un écrin de lumière sombre. « C’est une pièce-manifeste sur le corps féminin noir, qui raconte les résistances physiques, psychologiques, qui en appelle aux grandes héroïnes telles que Joséphine Baker ou Nina Simone, qui ont marqué ma vie de femme. »
Ouverte aux vents contraires
Sa danse y prend un tour plus organique : « pour la première fois, je convoque une histoire lointaine, une trivialité, une animalité ». Quant au dernier volet du triptyque, Souffle, pour six danseurs, il a surgi au sortir du confinement, dans ce temps un peu suspendu, cet œil du cyclone si familier aux habitants de La Réunion. « Ce répit avant de se reprendre les grands vents est comme le symbole des grandes crises », dit-elle. Sur le plateau en perpétuel tremblement, les interprètes s’entrechoquent ou se soutiennent, donnant corps à une certaine idée de la résilience.
Avec Les Jupes, dont elle présentera une étape de travail à Périgueux, elle entame un nouveau cycle alliant encore deux concepts : la joie et l’insoumission. « J’aime travailler ces thèmes sociaux, philosophiques, a priori antagonistes et entre lesquels je trouve des passerelles, des nuances. » Au plateau, ils sont quatre, quatre danseurs de l’Hexagone aux identités fortes, réunis pour une chorégraphie-défilé, qui revisite la figure du modèle, du mannequin et du masculin. En parallèle, elle travaille déjà au deuxième opus, un film chorégraphique en forme de docu-fiction, Exult, au croisement de trois territoires ruraux : Mayenne, La Réunion et Tanzanie. Toujours et encore ouverte aux vents contraires et aux rapprochements.
Stéphanie Pichon
Informations pratiques
Visite commentée et performance,
samedi 20 avril, 14h, dans le cadre de l’exposition « Corps »,
Espace culturel François Mitterrand, Périgueux (24).
Les Jupes, sortie de résidence, mercredi 24 avril, 14h,
Le Palace, L’Odyssée, Périgueux (24).
Et mon cœur dans tout cela ?,
Cie Morphose, chorégraphie de Soraya Thomas, vendredi 26 avril, 20h,
Le Palace, Périgueux (24).