Entretien avec Sophia Aram, la médiatique humoriste, aussi connue comme chroniqueuse sur France Inter, vient à Bordeaux pour présenter son cinquième spectacle, Le Monde d’après, qui lui a valu le Molière de l’Humour en 2024.

Comment pourrait-on présenter votre spectacle Le Monde d’après à quelqu’un qui ne vous connaîtrait qu’au micro de France Inter ?

Il s’agit de mon cinquième spectacle écrit comme tous les autres avec mon compagnon et coauteur, Benoît Cambillard. Pendant que je jouais le précédant À nos amours, qui interrogeait les rapports homme/femme à l’ère #MeToo, il s’est passé beaucoup de choses.

Les gilets jaunes, le covid-19 bien sûr, les complotistes saturant l’espace sur les réseaux sociaux et arrivant sur nos plateaux télé, le trumpisme avançant aux États-Unis et ailleurs… Nous nous sommes aussi questionnés sur ce que c’était que d’être de gauche aujourd’hui. Moi, quand je suis arrivé à France Inter, j’étais une humoriste dite de gauche. Désormais, je suis étiquetée humoriste de droite. Nous nous interrogeons sur le glissement de ces lignes.

Dans votre spectacle, vous parlez beaucoup de politique avec un feu nourri sur les politiques. Quel est votre rapport avec ce monde ?

Je suis très concernée par la place du politique dans la vie de la cité comme beaucoup de Français alors que paradoxalement nous sommes un pays où il y a beaucoup d’abstention, mais c’est un autre sujet… Je continue d’avoir foi en la politique, même si c’est un peu un vœu pieux car je suis effondrée par le niveau de certains parlementaires et certains débats aujourd’hui. Il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier, toutefois, je ne sais pas si certains sont à la hauteur de l’époque.

Ce constat pourrait-il vous faire passer le pas et rentrer dans l’arène politique ?

Oh non ! La question ne s’est jamais vraiment posée. Surtout parce que je pense que c’est quelque chose d’important. Je me considère comme un clown et veux rester à cette place. Et si eux se comportaient moins comme des clowns, je pense qu’on ne me poserait pas cette question. Je suis bien là où je suis en tant que comédienne, humoriste ; j’aime beaucoup cet espace de liberté surtout.

Oui, j’en suis convaincue. La vraie difficulté, aujourd’hui, c’est que les politiques nous dépassent. Ils sont tellement caricaturaux qu’on a l’impression en lisant des déclarations, des articles que ce sont des fausses informations. Il n’y a pas besoin de grossir le trait, mais il faut quand même arriver à faire le pas de côté pour dénoncer les incohérences, les aberrations. Je n’ai jamais tenu ce discours de « tous pourris » comme Marine Le Pen qui l’a claironné pendant toute sa carrière et qui est aujourd’hui dans les affaires jusqu’au cou.

Comment arrive-t-on à trouver le fil humoristique pour dénoncer les incohérences du monde ? La voie de l’humour est-elle toujours celle que vous considérez la meilleure pour une opinion tranchée sur notre société ?

Je crois qu’il faut dénoncer les dérives et les débilités, or, il y a de la place pour une politique plus noble. Il y a de la noblesse dans les actions d’élus locaux, de maires, de députés qui mettent les mains dans le cambouis qui s’intéressent et s’interrogent sur la vie de leurs électeurs. La réalité reste de savoir pourquoi on le fait juste pour être médiatique, populaire sur les plateaux ou pour l’intérêt général ? L’outrance marche, évidemment, et va faire parler plus qu’une action de longue haleine.

Dans le monde de l’humour, cette volonté aussi de faire des petites phrases est-elle aussi présente ?

Je ne crois pas vraiment au monde de l’humour. De mon côté, je suis seule en scène, je ne connais pas les autres, je ne les fréquente pas, je suis en tournée, sur France Inter… Je ne veux pas parler au nom des autres, à titre personnel, je pense que nous ne sommes pas une grande famille d’humoristes, nous sommes chacun dans notre couloir de nage. Pour ma part, j’essaye de rencontrer le public et de travailler suffisamment pour ne pas raconter trop de conneries.

Votre spectacle a été coécrit avec Benoît Cambillard, votre compagnon dans la vie professionnelle et personnelle de longue date. Comment se passe la coécriture d’un tel spectacle ? Comment se répartissent les rôles ?

Nous écrivons tout ensemble. Nous sommes tout le temps en train d’écrire, sans forcément savoir si ça va servir ou non d’ailleurs. Nous lisons les journaux, nous écoutons les matinales, nous prenons le temps de faire de la veille. Cela étant, nous parlons ensemble des sujets qui nous ont touchés, on voit comment ça réagit. Puis, c’est du ping-pong pour trouver un angle, une idée pour traiter l’info, un personnage à incarner… Tout en veillant à dire des choses justes même quand on fait des blagues.  

Le Monde d’après a-t-il quelque chose à envier au monde d’avant ? Y avait-il moins de dangers ou de défis auxquels faire face ?

Je ne suis pas très « c’était mieux avant ». Comme tout le monde, j’ai des nostalgies, des objets que je regarde avec émotion. Je ne dis pas que c’était mieux, je constate juste qu’on ne va pas toujours vers le mieux dans tous les domaines ; le propre de toutes les époques. De la même manière, le fantasme qu’il y a eu sur le monde meilleur après le confinement à cause du covid m’avait semblé d’une naïveté confondante, presque mignonne.

Avec l’actualité qui s’emballe un petit peu, en tout cas qui est pleine de rebondissements, y aura-t-il un monde d’après d’après ?

Il va falloir oui ! Sinon, on va tous à la plage et on attend la montée des eaux ! Non mais il y a des sujets qui sont tellement graves et sur lesquels on peut quand même un peu agir, comme l’environnement. Je suis quelqu’un de très pessimiste en général, mais dans l’action car je n’ai pas envie d’abandonner. Il faut continuer de se battre.

Propos recueillis par Guillaume Fournier

Informations pratiques

Le Monde d’après, Sophia Aram,
vendredi 24 janvier, 20h30,
Théâtre Femina, Bordeaux (33).