Le trio indé rock de Saintes Lysistrata marque son passage à l’âge adulte en publiant Veil, troisième album à l’écriture plus pop et au potentiel fédérateur. Une affirmation de soi dans l’aisance et la sincérité.
Avertissement : utiliser l’expression « album de la maturité » est une facilité imprécise qu’il convient de proscrire, en toutes circonstances. Les vrais bons albums méritent mieux ! De toute façon, en ce qui concerne Lysistrata, il faut rappeler un fait : la notion de maturité avait été évoquée par les critiques dès le premier disque…
Rapide rembobinage : le trio était apparu comme un ovni en France et après deux albums (2017 et 2019) et quelques marathons de concerts dans toute l’Europe et même au-delà, jusqu’à s’imposer comme une valeur sûre du renouveau de la scène indé, la fougue de la jeunesse envoyant carrément valser les étiquettes du post-hardcore et du noise rock. Ce printemps 2024, Lysistrata dévoile son troisième album Veil et plutôt que de « maturité », on a envie de parler d’écriture réfléchie, de recul et de maîtrise.
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« On lui a confié nos morceaux »
Travaillé depuis les premiers épisodes de confinement, le nouveau répertoire, au moment de l’enregistrer, était déjà bien assimilé. Max Roy (basse et chant) confirme. « On a eu le temps de tourner et retourner les morceaux dans tous les sens, de les rebosser et d’arriver en studio avec des versions quasiment finalisées. »
Une matière, selon l’estimation de Ben Amos Cooper (batterie et chant), représentant « quasiment deux ans et demi de composition, d’écriture et de réflexion en amont, sans compter le projet Park [collaboration avec Frànçois Marry de Frànçois & The Atlas Mountains, NDLR] et un ciné-concert ».
Si le groupe est retourné enregistrer au studio Black Box, à côté d’Angers, comme pour les deux albums précédents, il a incorporé au processus une grosse nouveauté : faire venir un producteur extérieur, en la personne du New-Yorkais Ben Greenberg. Théo Guéneau (guitares et chant) explique : « On est allés le chercher à l’aéroport de Nantes, et à partir de ce moment où on lui a accordé notre confiance, on lui a aussi confié nos morceaux. Ce que l’on attendait de lui, c’était beaucoup de partis pris. »
Max : « On peut dire qu’on lui a carrément donné carte blanche pour formuler des idées et intervenir sur nos compositions. On voulait vraiment d’un producteur capable de nous amener dans des directions où on ne serait jamais allés tout seuls. »
Puissant laboratoire créatif
Ben Greenberg a la réputation d’être cool et talentueux, et sa palette est large ; on lui doit notamment le son d’albums de Metz, Beach Fossils, DIIV ou Show Me the Body. Homme de la situation derrière la console, il semble aussi avoir fait office de véritable guide, incitant les garçons à utiliser le studio comme un puissant laboratoire créatif au service de leurs ambitions.
Max : « Une des grandes qualités de ce gars-là, c’est de ne pas être un producteur spécialisé dans le hardcore, le black, la noise ou la pop. Il a fait tellement de projets différents qu’il est ouvert à toutes les influences et à tous les rendus, du plus mélodique au plus intense. »
Théo : « Avant la production de ce nouvel album, le studio était pour nous une expérience assez “express”. On y allait pour enregistrer, point final, sans trop sortir de nos compétences basiques. Là, pour la première fois, on a testé des pratiques différentes, que ce soit dans la façon d’enregistrer, dans l’exploration acoustique de telle ou telle pièce ou dans la recherche de textures avec des instruments additionnels. »
« Sylvie qui cuisine »
Ben s’amuse de nous confier une précision assez triviale : « En réservant le studio, on a pris l’option “Sylvie qui cuisine”, et rien que ça, ça enlève un stress et un temps fou ! » Puis, plus dans l’analyse : « Le fait d’avoir un producteur qui te dit ce qu’il faut faire ou pas nous a aussi fait gagner beaucoup de temps. »
Max : « En fait, la seule personne qui a du recul, c’est celle qui est en train de te driver. Ainsi, tu n’as pas besoin de te poser certaines questions. Ce n’est plus toi qui es en train de créer la direction artistique. C’est au moment où tu regardes en arrière que tu considères l’avancée du travail en huit jours… »
L’autre gros changement sur ce disque, c’est la nature des chants, avec un songwriting assumé comme jamais, quitte à surprendre les auditeurs fidèles avec des chansons au format plus classique (et, ce qui ne gâche rien, servies par l’accent parfait d’un Ben Amos Cooper aux origines anglaises). « Il y a vraiment eu cet aspect “écriture de chansons”, approuve Ben, avec de plus en plus de véritables textes et de moins en moins l’aspect “spoken word”. C’était la première fois que j’enregistrais des voix, seul dans une cabine, en chantant, comme dans une bulle… »
Salve de morceaux fédérateurs
Bénéfice net : une salve de morceaux fédérateurs que l’on croit volontiers calibrés pour un public ne demandant qu’à s’en emparer pour faire la fête. Les arbitrages de production de Ben Greenberg et son travail d’orfèvre (et peut-être aussi ses qualités secrètes de psychologue) ont payé : la sensibilité pop qui existait chez Lysistrata a été sublimée et se pose comme une évidence.
Écrire des mélodies catchy faisait déjà partie du savoir-faire du groupe, mais c’est à croire que Lysistrata vient de se libérer d’une tendance passée à ne pas assumer cette facette de sa musique. Max : « On a toujours écrit des thèmes que l’on retient bien, assez pop, finalement. Mais on avait tout le temps fait en sorte de contrer cette direction, en jouant de façon énervée. Cette fois-ci, les morceaux vont jusqu’au bout de l’idée de base ! »
Théo : « Et on a essayé d’être un peu stratèges sur la tracklist, en surprenant les auditeurs dès le début de l’album, avec des morceaux pop de moins de trois minutes… Surprendre les gens au milieu ou vers la fin, cela ne sert pas à grand-chose… »
Surprendre les fans de la première heure
Le fait est que ce nouvel album s’ouvre sur une série de tubes adroitement ciselés. Cela constitue sans doute une entrée en matière plus aisée à l’égard du grand public, mais aussi propre à surprendre, en effet, les fans de la première heure. À l’inverse, pas de traitement en demi-teinte pour les passages plus hardcore, dont la violence n’a pas été cachée et surgit, explosive, redoutable, au cœur de l’opus.
Sans exagérer en s’imaginant un adoucissement purement pop, on aura compris que chez Lysistrata, dorénavant, les émotions ne sont plus traitées de façon purement frontale, liquidées dans la pure débauche d’énergie. Alors, pour qualifier Veil, utilisera-t-on des formules toutes faites ?
On aimera mieux éviter les clichés, en parlant d’un album de la fluidité, de l’aisance et de la sincérité. Un album plutôt court, d’une grande cohérence, aux partis pris tranchés, dont chaque titre a le potentiel d’un single. Lysistrata a su élever son art d’un cran.
Guillaume Gwardeath.
Informations pratiques
Lysistrata + The Big Idea + Robot Orchestra + Other Half,
samedi 23 mars, 20h,
La Sirène, La Rochelle (17).
Lysistrata + Headcases + Charlène Darling,
vendredi 29 mars, 21h,
Le Confort Moderne, Poitiers (86).
Dust Is Precious Jour 3 : Lysistrata + Lambrini Girls + Headcases + Johnny Mafia,
samedi 30 mars, 19h30,
La Nef, Angoulême (16).
Lysistrata + The Big Idea,
samedi 1er juin, 20h30,
Des Lendemains Qui Chantent, Tulle (19).