La Table d’Aurélien Largeau, du jeune chef rochelais, notamment passé par les cuisines de l’Hôtel du Palais de Biarritz, déploie toute sa maestria dans un établissement à son image où seule la très haute gastronomie compte, celle de l’exceptionnel.

Autant la figure de Jean Bart, le plus fameux corsaire de Louis XIV, est mythique, autant sa rue, à Biarritz, n’a rien d’ostentatoire. Peut-être un résumé d’Aurélien Largeau : un Panache inouï dans l’assiette et la modestie faite homme ?

Après un parcours plus qu’éloquent — la famille Coutanceau, Le Richelieu sur l’île de Ré, La Table d’à Côté, à Ardon — et une pluie de distinctions — « Jeune Talent » Gault & Millau 2019, une étoile au Guide Michelin, 16/20 et 3 toques au Gault & Millau à l’Hôtel du Palais de Biarritz —, le voici avec sa brigade, dans une adresse qui n’a en rien sacrifié à l’inutile pour appâter le chaland. Loin de là. Bleu pétrole, bois foncé, deux salles, un généreux comptoir, voilà le décor de la Table d’Aurélien Largeau. Terminé, on n’en parle plus. Aurélien Largeau s’exprime au piano et non dans les colonnes de Cabana.

Aurélien Largeau : le prince des mers

Le Charentais, évoquant avec malice le souvenir des mouclades familiales, l’affirme tout de go : « Depuis tout petit, je me nourris des saveurs de l’Atlantique. » Révélation : il ne ment pas. Nous ne sommes pas en face d’un chef, mais de Namor, prince des mers.

Démonstration avec le menu « 7 Escales » (135€), insensé récital, débutant par un consommé de crabes verts, infusé à la verveine et à la langoustine. Exaltation des vertus maritimes se poursuivant avec un « prélude pêche à pied », soit un vernis et sa purée de céleri, façonné tel un roudoudou acidulé, une mouclade et son émulsion curry et algues dans laquelle le pain (algues et Ossau-Iraty) a connu le sens du sacrifice, et un cappuccino coques et champignons boutons, sans caféine, rien que du sublime.

Un rince-palais (nuage glacé d’eau de concombre, jus de laitue de mer, sel de pêcheur) pour la bonne conscience, las, le beurre (sauge, thym, citron) de la Ferme Irrika et le pain noir aux graines de la Maison Teulier ont décidé de s’unir pour vous soumettre à la tentation. Enfin, la luxure… L’huître (Gillardeau de Marennes-Oléron) grillée à la braise, crépinettes aux huîtres, voile de papada, sauce fromagère fumée déclenche l’immédiate addiction. L’inimitable parfum de noisette, le fondant de la charcuterie espagnole. Qui aura encore l’audace de martyriser si noble produit avec du vinaigre et des échalotes ? Dénonce-toi, fils de canidés !

La Table d’Aurélein Largeau à Biarritz, au-delà de l’entendement

Le rouget, mariné au sel, jus de rouget corsé aux foies de rouget, pouces-pieds, gelée de yuzu, salicorne, citron caviar offre autant de croquant qu’une stupéfiante harmonie d’agrumes. Au-delà du gravlax, au-delà de l’entendement. Or, cette merveille n’est que la deuxième étape…

Vient la sardine (de Saint-Jean-de-Luz) cuite de peur et laquée, jus de crevettes bouquets, purée de piments doux (d’Anglet), miso et saké. La cuisson rend la reine de Donibane Lohizune plus fondante que la morale ne saurait l’autoriser et son cortège a l’allure d’une bisque au goût prononcé. Si la pêche est du matin, l’extase est vespérale.

La barbue et ses barbillons, déclinaison de topinambours (jus et textures), verjus de chez Bourgoin-Cognac. Nouvelle démonstration de la perfection. L’AMOUR majuscule du poisson, le twist du verjus comme substitut du citron et la réhabilitation du topinambour, dont les alias — artichaut de Jérusalem, truffe du Canada ou soleil vivace — rappellent sa noblesse. Et, sans coup férir, voilà le homard. Sa pince tel un tartare crémeux rehaussé au ponzu, sa queue grillée aux aiguilles de pin, betterave, moutarde en grains, shiso et homardine au pineau des Charentes. De la baie de Fundy à celle de Paimpol, plus d’un crustacé rêverait de quitter son casier pour ce finale haut-de-gamme. On reste sans voix.

Instant culinaire suspendu

Sur les conseils avisés de Gary Sallière, empruntons les chemins vicinaux à la découverte des fromages du Béarn et du Pays basque. Anneau du Vic-Bilh, tome vache-brebis, couronne d’Henri IV et Gourmançon, le « Saint-Nectaire du Béarn ». À vrai dire, nul regret pour cette sortie de route. Nous sommes en France. Fromages et desserts.

D’abord, la crème glacée de brebis, miel de noisettes d’Hossegor, caviar Osciètre de la Maison Rova. Ça vous semble compliqué, non, détrompez-vous, en bouche, c’est l’accord parfait. L’audace de l’or noir est absolument irrésistible. Il n’y a pas d’autres mots. Puis, la poire confite, crème double, jus de poire, caramel au miel, criste marine. Imaginez le fruit confit mais croquant, une crème à la limite de l’obscénité et cette pointe d’iode de la plante maritime. Fermez les yeux, oui, c’est préférable.

Pour le plaisir, champagne Grande Réserve de chez Dehours et Fils (51700 Mareuil-le-Port), meunier majoritaire (cépage de la vallée de la Marne), maturation de 15 à 27 mois en bouteille. Le sans faute. Innocemment, on pensait se quitter en très bons termes, or le chef nous installe à sa magnifique grande table pour une tournée de churros con chocolate, rhum-vanille, miel et cacao…

Comment dit-on sublime en espagnol ? Le temps semble un instant suspendu. Avons-nous rêvé ce moment ? Les éclats du couple ayant passé sa soirée à s’invectiver sur l’air du « Je ne suis pas venu pour refaire le passé » nous rappelle au réel… De retour, dans la douceur nocturne, bercée par le ressac, une question nous taraude : « Aurélien Largeau est-il de ce monde ? »

Marc A. Bertin

Informations pratiques

La Table d’Aurélien Largeau
4, rue Jean-Bart, 64 200, Biarritz
Du mardi au samedi, 19h30-21h30, samedi, 12h-13h30
Réservations 05 59 24 76 08

7 Escales — 135€, accord mets et vins – 70€ (7 verres de vins de 6cl)
5 Escales — 105€, accord mets et vins – 50€ (5 verres de vins de 6cl)