Journaliste, critique littéraire, auteur, musicien retraité, ancien directeur de galerie épris de photographie, Erwan Desplanques, quadra délicat, fraîchement bordelais, est aux Escales du livre avec La part sauvage en compagnie de Claire Grimbert et de Yuksek.
Ciel gris et bas. À la fenêtre du salon de thé, le printemps semble encore un rêve lointain. Alors que se dessine sa silhouette casual Friday (blue-jeans, sweater, parka), d’emblée évacuer le soupçon de connivence, le festival de l’entre-soi, la république des copains et des coquins. Oui, l’auteur du portrait et son sujet exercent la même profession (critique littéraire) au sein du même quotidien régional. La motivation est tout autre, derrière le journaliste, tant de vies.
« Faux Breton », né à Rennes, Erwan Desplanques puise ses racines en Champagne, berceau familial, où il a vécu jusqu’à sa licence de lettres. Enfance heureuse, père assureur, mère enseignante. Pour autant, aucun atavisme sur son futur professionnel.
“Soif d’Amérique”
« Petit lecteur, je me suis pris au jeu de la littérature en première, puis boulimique en khâgne. J’ai rattrapé les classiques sur le tard. » Sa première passion a le visage du Pays de la liberté. « Le frère aîné de mon père était pilote, formé par l’US Air Force, et lui a transmis cette soif d’Amérique. Mon père roulait en Jeep Willys dans les rues de Reims, a travaillé toute sa vie à nouer des liens transatlantiques à tel point qu’il a été invité à l’investiture de Barack Obama.
À ses obsèques, la petite-fille du général Patton est venue interpréter The Star-Spangled Banner ! » De tout cela, il sera question dans son troisième ouvrage L’Amérique derrière moi (2019), prix Récamier du jeune écrivain.
“Aller sur le terrain un bloc-notes à la main”
Monté à Paris, direction La Sorbonne, pour sa maîtrise. La fureur de lire, toujours, de Fante à Toussaint et, surtout, les auteurs vivants. 2001, avec un autre rémois, Jean-Baptiste Gendarme, voilà le début d’un fanzine, Décapage, devenu revue, désormais dans le giron de Flammarion. L’objet de son mémoire, lui, portera sur une autre revue, L’Infini de Philippe Sollers.
Diplômé et nullement motivé par l’exemple maternel qui s’échine en ZEP à transmettre La Légende des siècles, il tente plusieurs concours d’école de journalisme, « une bonne voie pour l’écriture, aller sur le terrain un bloc-notes à la main », jette son dévolu sur l’École supérieure de journalisme de Lille.
Un choix plutôt heureux car il y rencontrera Constance de Buor, sa compagne et mère de ses deux enfants, actuelle rédactrice en chef de la revue Le Festin. « J’ai d’abord été séduit par ses talents d’écriture. Depuis, on se relit l’un l’autre. »
“Une vie monacale, trois livres par jour”
La suite semble idyllique : embauche à Télérama, « un journal de passionnés, pas de snobs, avec une éthique, une intégrité, une exigence, marchant à l’enthousiasme » et étourdissement culturel parisien, « j’ai comblé mon déficit ».
Souvenirs de reportages (Oasis, Gorillaz), des premières couvertures de Devendra Banhart, des pages télé aux pages idées, et du cahier livres, bien entendu. 15 ans dans ce cocon, mais « ce n’était pas Hemingway, ni Paris est une fête. En vérité, une vie monacale, trois livres par jour ».
Sur la route avec le groupe Sarah W. Papsun
Son défouloir s’appelle Sarah W. Papsun, groupe de rémois (encore) exilés, formé en 2008, lauréat du FAIR 2012, influencé par Foals, Vampire Weekend, Block Party, Two Door Cinema Club. Deux EPs, un album, des festivals (Solidays, Transmusicales, Printemps de Bourges), le circuit de Paname (New Morning, Cigale, Maroquinerie), des tournées (y compris au Krakatoa de Mérignac), puis la retraite à la naissance de son fils.
« C’était très plaisant, mais je passais ma semaine à la rédaction et les week-ends sur la route. Le rock n’était pas une vocation, j’ai toujours adoré la musique, mais voulais rester amateur. » Et, qui sait, pas assez doux pour ce fan de Grizzly Bear ?
Une écrivain qui se revendique “profondément journaliste”
Surtout, il a franchi le Rubicon avec Si j’y suis (2013), publié chez l’Olivier, par besoin d’un terrain « créatif et récréatif ». Entre l’école Minuit (Almendros, Echenoz, Gailly, Oster) et la veine américaine (Raymond Carver, Tobias Wolff, Richard Yates), lui qui se revendique « profondément journaliste » chérit profondément la nouvelle, « cet art de la suggestion et de la précision, j’apprécie la tension intrinsèque au format court. Je préfère Colum McCann novelliste que romancier ».
« Seule la forme littéraire me permet d’exprimer certaines sensations, impossibles à explorer dans un article. »
Adressé sous pseudonyme pour ne pas être retenu pour de mauvaises raisons, le manuscrit marque aussi un tournant : il abandonne la critique littéraire ; reprise récemment pour Sud Ouest Dimanche et Psychologies Magazine.
La Une de JUNKPAGE en mars
Bien avant la pandémie et l’exode massif des Franciliens, la famille se fixe alors à Seignosse. Des attaches dans la région, un vif intérêt pour ce sud des Landes, dépourvu de structures dédiées aux arts visuels — l’homme est féru de photographie — et place à Troisième Session, structure associative mais vrai centre d’art ambitieux.
Valoriser le photoreportage [à l’image de « Sodium—Landes de nuit » d’Olivier Metzger, disparu brutalement en 2022, et qui faisait la Une de l’édition de mars de JUNKPAGE, ndlr], du chinois pour les élus, nonobstant le public et les actions menées (résidences, scolaires). Un combat âpre face au repli identitaire et la fin des subventions. 2023, rideau.
A l’affiche des escales du livre avec Yuksek et Claire Grimbert
Départ pour Bordeaux. « On a survendu une illusoire Californie. Cette ville n’est pas devenue le 21e arrondissement de Paris. Son offre culturelle me satisfait, faire des choses y est plus simple et c’est un ancrage idéal entre le Sud et la capitale. »
C’est ici, à l’invitation des Escales du livre, que le 6 avril son récent recueil de nouvelles La part sauvage s’incarnera avec la complicité de Claire Grimbert, comédienne du Théâtre des Chimères, et du producteur Yuksek !
« On a fréquenté le même lycée à Reims, sauf que j’étais en classe avec Guillaume Brière, qui formera The Film puis The Shoes. Je l’ai contacté, et, malgré son emploi du temps, il a accepté de nous accompagner avec un synthé et une platine. On répète chez lui. »
“Chaque livre relève du miracle”
Quoi de plus logique quand on se déclare sensible à la littérature « augmentée ». « La rencontre, hormis s’il y a un sujet, donc sous forme de conférence, c’est caduc. Et n’attire pas les plus jeunes. Or, je refuse de m’enfermer dans la mélancolie. Il faut ouvrir les portes, sympathiser avec le spectacle vivant. Je ne suis pas comédien, plutôt dans une position de militant. Nous devons investir les espaces sinon nous risquons la marginalisation du livre dans le champ culturel. »
10 ans de carrière mine de rien… « Chaque livre relève du miracle tant c’est difficile. Je suis un laborieux persuadé qu’il devrait arrêter, or, seule la forme littéraire me permet d’exprimer certaines sensations, impossibles à explorer dans un article. »
Marc A. Bertin
Informations pratiques
La part sauvage,
lecture musicale par Erwan Desplanques, Claire Grimbert, Yuksek,
samedi 6 avril, 19h, salle de l’Atelier, TnBA, Bordeaux (33).
La part sauvage, éditions de l’Olivier