Renaud Cojo, le directeur artistique de la compagnie Ouvre le Chien revient au Grand Parc bordelais avec Discotake#2, contre-festival d’essence musicale au format biennale, entre émergence, expérimentation, reprises, récit mémoriel, pratiques amateurs, désir d’échanges et partage de savoirs.
Pour cette deuxième édition, le mot d’ordre est : « de la musique, un territoire, des habitants, des artistes ». Mais encore ?
C’est effectivement le credo de ce projet. Les intentions sont claires ainsi que la ligne directrice de ce festival qui, comme vous l’avez compris, n’est pas un fourre-tout, ni une date supplémentaire à caler sur le calendrier des spectacles en tournée.
Ce qui est le cas de la presque totalité des festivals en France construits comme des puzzles auxquels la direction artistique n’a plus qu’à assembler les pièces selon un modèle bien connu et fort repéré afin de former un motif séduisant de spectacles dont le public aura entendu parler en amont…
Pour Discotake, nous allons contre ce savoir-faire en choisissant un axe fort auquel nous ne dérogeons pas depuis 2019 et qui demeure la colonne vertébrale de la totalité du projet.
Un axe fort ? Lequel ?
D’abord, de la musique, mais nous l’envisageons ici comme mode de transmission immédiat de notre culture et l’infini répertoire des musiques populaires (ou un peu plus savantes), comme le moteur d’un mouvement intime et de mise en commun des savoirs et des désirs.
Il n’y pas d’œuvre en tournée sur Discotake puisque ce sont des commandes que nous proposons à des artistes et qui sont spécialement créées pour cette occasion. Nous continuons de penser malgré l’époque, que la curiosité, l’inconnu, peuvent être aussi le moteur d’un réel éveil au désir. Le territoire est celui de la ville. Plus spécifiquement celui du quartier du Grand Parc, mais nous n’avons aucun moyen à l’heure actuelle d’y créer une permanence artistique.
Le festival Discotake a-t-il vocation a voler vers d’autres cieux ?
Ce festival a pour ambition de migrer vers un « ailleurs », d’autres territoires, d’autres villes, à moins que nous trouvions d’autres moyens ici ou du moins que nous envisagions avec les institutions locales, la pertinence de ce projet pour sa géographie actuelle et ses habitants.
Initialement, en nous donnant pour ambition la création d’un événement qui s’exercerait dans le cadre d’un souhait de réhabilitation d’un bâtiment emblématique de l’histoire culturelle de la ville de Bordeaux et qui contribuerait à développer l’offre culturelle du quartier populaire du Grand Parc, nous souhaitions porter un projet qui remettrait en perspective la question de l’accessibilité de la création contemporaine, des œuvres, aux habitants de ce territoire. Nous souhaitions également créer un temps fort qui favoriserait la rencontre des pratiques amateurs et professionnelles des arts vivants. Il y avait un véritable manque dans cette ville.
Nos objectifs ont été de concevoir un espace gratuit d’expérimentations et de rencontres avec des artistes d’envergure nationale et dont les préoccupations s’articulaient autour de l’hybridation des formes contemporaines de la création, et de favoriser de nouvelles tentatives de rapprochement entre habitants, arts et artistes à travers des protocoles simples comme ceux que je propose.
[ Ce festival] est une forme de combat, celui d’un espace d’expression à trouver, d’une place à se faire dans le Grand Manège.Renaud Cojo
La biennale, le bon rythme ?
Il ne faut pas oublier que ce festival hyper-artisanal est conçu et porté par ma seule compagnie avec une subvention de la Ville de Bordeaux et quelques deniers périphériques. Comme tout mon travail en général dans cette région, et parce que je ne suis pas un utilisateur des « voies classiques », il est une forme de combat, celui d’un espace d’expression à trouver, d’une place à se faire dans le Grand Manège.
J’ai compris depuis un bon moment que rien n’était acquis ici et qu’à 56 ans j’aurai ainsi toute ma vie à faire mes preuves dans cette belle ville mais je m’y suis aussi beaucoup fatigué. C’est comme ça. Nous n’avons aucun moyen à l’année et sommes seulement trois personnes à œuvrer sur Discotake, en plus du travail que nous fournissons sur mes propres créations.
Il est évident que si j’avais été à la tête d’un théâtre, ce festival aurait eu sa place dans une programmation annuelle. Ce qui n’est pas le cas. Nous n’avons aucune « force de frappe » pour communiquer autour de ce projet et la presque totalité des finances va directement aux équipes artistiques et à leur accueil pour la création d’œuvres…
Par exemple, outre la direction artistique et les équipes que je vais chercher pour composer la programmation, c’est avec mes seules petites mains que je fabrique le site internet pour lequel mes connaissances techniques se limitent à mon seul enthousiasme.
Il est évident que si la compagnie que je dirige n’était pas conventionnée par le ministère de la Culture via la DRAC Nouvelle-Aquitaine, ce projet s’arrêterait net. Alors oui, la biennale, c’est la fréquence que nous avons trouvée pour éviter à Ouvre le Chien d’engloutir chaque année la majeure partie de ses subventions de fonctionnement dans le financement de ce projet…
4 artistes, 4 albums, 4 performances par goût de la contrainte ?
Par goût des œuvres, plus simplement. Je constate aujourd’hui une dérive de la chose culturelle pour laquelle la question des œuvres disparaît progressivement sans que personne n’y trouve rien à redire… Ce qui est mis en avant, à présent, dans les programmations et plus globalement dans certaines politiques culturelles qui s’arment par exemple de « contrats d’objectifs », c’est le déclassement pur et simple des artistes et de leur travail au profit d’une massification de propositions qui n’auraient rien à envier aux bals populaires, aux colonies de vacances, au karaoké ou au jardinage.
Je n’ai évidemment rien contre ces propositions qui se multiplient, encouragées par les tâtonnements de nos politiques et pour qui la question artistique demeure une étrangeté voire un danger. Que les scènes nationales se transforment en jardineries, après tout il y a une logique à cela qui me renforce dans l’idée que l’institution peut aujourd’hui difficilement accueillir la création vivante. Cela ne semble plus son rôle.
Que ces lieux ne sont donc plus les lieux de la recherche et de l’émancipation par l’art. Pourquoi envoyer la culture dans les seuls désirs suspects des objectifs à atteindre ? Au contraire, je crois justement parce qu’on n’en fixe pas ses limites, qu’elle fait émerger l’essentiel et que les œuvres, comme celles que nous encourageons avec les artistes de Discotake, portent en elles-mêmes les instruments de leur médiation. Je suis né de cela, des œuvres et de la façon dont elles ont tracé un chemin en moi, mais aujourd’hui on veut tout accompagner car il faut éviter à tout prix que l’on se perde. Dommage.
Et toujours David Bowie, ici honoré via Ziggy et non Aladdin Sane, dont on fête les 50 ans. Facétie ?
Nous avions imaginé un autre projet de cover-concert — notez que l’idée a été reprise cette année au Printemps de Bourges et au festival d’Avignon —, mais la baisse des financements pour cette édition n’a pas permis que le cover-concert soit également une œuvre de création à part entière. Ce qui avait été le cas il y a deux ans par exemple avec Rodolphe Burger pour sa reprise de Kraftwerk…
De fait, nous nous sommes rapprochés pour une édition future (si elle a lieu) de l’Opéra national avec lequel nous envisageons un beau projet en devenir. Bowie n’est évidemment pas étranger à ce festival. Son ombre plane depuis 2019 alors que nous faisions déjà intervenir Ambra Mattioli (performeuse italienne) avec son incroyable Blackstar. Capsula (Argentine), que le Bordeaux-Rock connaît bien, présentera son projet Ziggy Stardust, qui n’a pas tourné ici. Sa version de cet album culte de Bowie est insensée, pleine de rage fidèle et de respect glam.
Son travail a même été validé par Tony Visconti, producteur historique de Bowie. Nous sommes donc particulièrement enchantés que le trio ait accepté de venir donner sa version à Discotake, ce qui fait évidemment lien avec le spectacle que j’ai moi-même créé autour de ce personnage il y a quelques années.
Propos recueillis par Marc A. Bertin
Informations pratiques
Discotake#2,
du jeudi 15 au samedi 17 juin,
salle des fêtes du Grand Parc, Bordeaux (33).