On a pu reprocher à bon nombre de cavistes de la métropole bordelaise une sorte de paresse intellectuelle, cantonnant ces derniers à l’unique promotion de vins d’ailleurs, plus verts, plus nature, plus vertueux et donc forcément non bordelais. On ne mesurait pas l’impact carbone de ces choix chez les tenants habituels des circuits courts, encore moins les répercussions économiques sur la filière locale ! Désormais, quelques-uns s’ingénient à sillonner territoire girondin ou néo-aquitain pour des sélections iconoclastes, nature, bios ou biodynamiques.
Par Henry Clemens
LA CUV : GÉNÉRALISTE ENGAGÉ
Lénaïc est un trentenaire ébouriffé et convainquant. Il questionne un métier qui change, un métier qui s’arroge quelques droits. Lui dit avoir été marqué par une expérience de caviste à Édimbourg. Elle lui a ouvert les écoutilles sur l’immense production mondiale. Une autre expérience, parisienne cette fois, lui rappelle que si Bordeaux est une grande région viticole française, elle n’est pas la seule. Dorénavant, il prête une oreille attentive aux gens qui s’installent devant les hauts rayonnages d’une de ses boutiques sise place Maucaillou, entre marché des Capucins et place Saint-Michel. Bordeaux rouges à gauche, blancs à droite représentent ici plus de 20 % de la proposition. Biodynamie, nature et vins sans IGP cohabitent dans son bel antre qui accueille plus de 600 références. Lénaïc se définit comme un caviste généraliste engagé ! Mais qu’en est-il de sa relation à Bordeaux ? « J’ai l’impression, moi y compris, que nous nous étions détournés de Bordeaux… les choses évoluent. » Aujourd’hui, le caviste reste intimement convaincu que le bordeaux bashing appelle à une entraide qui doit remettre au centre de l’échiquier les appellations néo-aquitaines. Si le consommateur reste parfois un peu sur sa réserve, cette nouvelle tendance se fait jour dans quelques caves, dont la sienne.
Coup de cœur : Château Franc Baudron Verso, bordeaux 2019, trois grands cépages blancs pour un rare équilibre.
LA CUV SAINT-MICHEL
7, place du Maucaillou 33800 Bordeaux
05 56 77 75 92
Lundi : 16h-20h. Du mardi au vendredi : 10h-13h, 16h-20h
Samedi, 10h-14h, 16h-20h. Dimanche, 10h-14h
www.la-cuv.com
LA CAVE D’ANTOINE : PROMOTEUR DU GRAND SUD-OUEST
En 2010, après deux années passées à Dubaï, Antoine rentre à Bordeaux avec Maud, sa femme. « Nous nous étions rendus là-bas pour l’ouverture d’un restaurant japonais, Nobu, pour lequel je m’occupais du bar et de la carte des vins. » Cette dernière expérience au Moyen-Orient a participé à son désir de sélectionner et proposer les vins qui l’ont marqué.
Arrivé en mai 2010 dans le quartier de la gare Saint-Jean, il ouvre sa première cave en décembre de la même année. Pas vraiment sensibilisé à l’agriculture biologique, il s’aperçoit que la majorité des vins qu’il retient portent le label AB ou sont en biodynamie ! Ce constat l’interroge et lui ouvre les yeux sur ces pratiques culturales, lui permet encore de rencontrer des vigneronnes et des vignerons qui se questionnent sur leurs pratiques.
Avec l’aide de Catie, Rafael, Sylvain et Jérôme qui le rejoignent pour l’ouverture de la cave de Bègles puis celle de Saint-Michel, il construit une offre qui tourne quasi exclusivement autour des vins produits en agriculture biologique ou biodynamique.
Un dernier et nouveau virage sera pris qui le conduit à recentrer la sélection — plus de 400 références — sur les vins du Sud-Ouest, à mettre en avant les appellations injustement ignorées ! Cette cave est, pour sûr, un endroit où on abandonne certitudes et idées reçues.
Coup de cœur : Toutes voiles dehors, 2019, vin de France de Sylvain Jougla. Un sauvignon blanc élevé en milieu oxydatif.
LA CAVE D’ANTOINE
58, rue des Faures, 33000 Bordeaux
Du mardi au samedi, 11h-14h, 16h-20h
www.lacavedantoine.eu
LA CAVE DU CHARABIA : PÉDAGOGIE NATURELLE
L’homme à la gouaille parisienne, et restaurateur bordelais heureux, s’imagine désormais en caviste ultraspécialisé nature et biodynamie. Le plaisir de la gastronomie l’a logiquement dirigé vers les vins. « J’ai eu la chance de rencontrer de bons mentors qui ont su booster mes aptitudes. »
Guillaume Samson a grandi dans un environnement agricole, passé du temps à la ferme, ce qui a indéniablement développé son goût pour une agriculture de terroir. Il crée le Charabia en 2018, et montre déjà une réelle appétence pour des vins iconoclastes, « nous avions vingt références et toutes étaient déjà en nature ou biodynamie ». Pour endosser pleinement son costume de caviste, il sait qu’il lui faut prendre du temps pour démarcher les vignerons, sourcer les vins.
Il bâtit pour cette toute jeune cave un rien vintage une vraie identité. Une nécessité pour s’implanter durablement. La cave c’est une offre complémentaire qui lui permet de gérer un peu moins de références en restauration et d’inviter un convive en mal de références à traverser la ruelle… Et Bordeaux dans tout ça ? Le restaurant est un bateau amiral qui permet de promouvoir des vins bordelais — 25 % de son offre — peu connus, bios ou nature. La cave reste un bel outil pour convaincre de la qualité de ces vins nouveaux du Bordelais car, dit-il, « le consommateur ne doit pas s’enfoncer dans ses certitudes » ! On traversera plus d’une fois et à gué la belle rue du Hâ.
Coup de cœur : Château Peybonhomme-Les-Tours, Blanc Bonhomme 2019, Bordeaux. 10 % de colombard pour un maximum de plaisir. Un blanc rare.
LA CAVE DU CHARABIA
24, rue du Maréchal-Joffre 33000 Bordeaux
Du lundi au vendredi, 10h-22h. Samedi, 10h-19h
www.lecharabia.fr/o/ cave-le-charabia/