À l’occasion des 50 ans du CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux, l’artiste canadienne Kapwani Kiwanga investit la grande Nef avec « Retenue » une exposition magistrale, pensée en relation avec l’histoire du lieu.

Prix Marcel Duchamp 2020, Kapwani Kiwanga impose depuis quelques années sur la scène internationale une œuvre à la fois factuelle et sensorielle qui, basée sur une capacité d’agrégation et de fusion, en appelle à la mémoire des sources enfouies et s’attribue le pouvoir de décaper, de dénuder et de conduire vers une nécessaire réflexion.

Nouvelle preuve au CAPC musée d’art contemporain de Bordeaux où elle investie la grande nef de l’entrepôt Lainé avec son exposition « Retenue » visible jusqu’au 7 janvier 2024.

Explorer la réalité d’un passé

Elle étudie d’abord l’anthropologie et les religions comparées à l’Université McGill, à Montréal, puis se tourne vers le cinéma documentaire et finit par s’engager dans le champ de l’art après des études en France aux Beaux-Arts de Paris et au Fresnoy-Studio national des arts contemporains de Tourcoing.

Sa démarche artistique puise dans la rigueur des méthodes scientifiques de ses premières formations mais aussi dans une recherche plurielle qui prépare les conditions et les modalités de l’investigation, et assure l’exploration de la réalité d’un passé.

Fascinante alliance d’air, d’eau et de lumière au CAPC

Dans la grande Nef, Kapwani Kiwanga déploie des rideaux constitués de cordes teintées d’un bleu indigo et suspendus aux arches de pierre comme une fascinante alliance d’air, d’eau et de lumière. Cette installation échappe ainsi à la pesanteur, l’opacité et l’austérité de cet ancien entrepôt de denrées coloniales tout en convoquant son histoire marquée par la blessure tragique de l’esclavage et la persistance de la singulière aventure artistique liée à ce lieu.

Elle répond également à la présence proche de la Garonne et évoque les retenues souterraines des eaux pour éviter l’inondation de Bordeaux.

Une expérience poétique

Deux de ces rideaux, composés comme des fontaines, conduisent l’eau le long de leurs cordes pour goutte à goutte s’écouler dans une incision pratiquée au sol et peut-être rejoindre le fleuve. Ce dépouillement, initié par un geste vif et précis, se donne à vivre comme un appel au partage d’une quête de clarté où l’émotion ouvre un passage à la connaissance.

Cette matière serrée, exigeante et inépuisable de sensations visuelles et auditives, de rythmes et de signaux, se dilate et se contracte comme un cœur battant, offre de multiples possibilités de circulations et de rencontres, et ne cesse de se réactiver dans une constante reformulation d’elle-même. Sa respiration est celle d’une expérience poétique qui ressource, renoue et accorde à une unité plus vaste. Ce n’est pas une affaire de séduction mais d’accompagnement et de prolongement.

Renouveler son attention sur le monde

Ce à quoi invite Kapwani Kiwanga, c’est à une redéfinition des positionnements et des échanges dans l’espace et cela passe par une incitation à remettre en question des préceptes qui fondent le spectaculaire et le monumental, notamment celui qui voudrait que le regardeur joue un rôle passif. Elle s’inscrit dans une efficacité sans esbroufe. Elle a cette vraie générosité qui se concentre dans cet élan vers l’autre, sans volonté de domination ni désir de pouvoir.

Chez elle, la proposition esthétique engage pleinement à la contemplation mais à une contemplation active, féconde qui amène le visiteur à s’interroger, se déplacer, se replacer pour construire avec lui un lien puissant. Ce qui compte, c’est d’acérer son regard pour qu’il porte une attention renouvelée sur cet environnement immédiat mais aussi plus largement sur le monde.

Didier Arnaudet

Informations pratiques

« Retenue », Kapwani Kiwanga,
jusqu’au dimanche 7 janvier 2024,
CAPC musée d’art contemporain, Bordeaux (33).

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