Jusqu’au 15 février, la galerie bordelaise arrêt sur l’image déploie une somptueuse sélection de clichés de l’immense photographe Sanlé Sory, mondialement acclamé sur le tard.

Qu’ont en commun Beyoncé Knowles, Alicia Keys et Tyler The Creator ? Ces têtes couronnées du gotha musical afro-américain possèdent toutes un tirage original de Sanlé Sory. Inconnu des amateurs du genre comme des stars des décennies durant, le natif de Banfora, en 1943, a acquis, à l’orée de la décennie 2010, une reconnaissance mondiale tant de ses pairs que du grand public.

À tel point que le prestigieux Art Institute of Chicago lui a consacré, en 2018, une rétrospective ; une première pour un artiste africain !

Un destin épousant celui de son pays

Pourtant, cette célébrité et l’intérêt grandissant pour son travail sont le fruit d’un hasard heureux : sa rencontre avec le critique Florent Mazzoleni, fin connaisseur des musiques africaines, qui, en 2011, menait des recherches sur la scène du Burkina Faso.

Ébahi par la qualité et la quantité des photographies, ce dernier se plonge dans les archives — 1 million de prises de vues, 800 000 hélas disparues en fumée… — du studio Volta Photo et remonte le fil d’un singulier destin. Destin épousant celui de son pays, qui, le 5 août 1960, acquiert son indépendance. La jeune République de Haute-Volta s’émancipe paisiblement, sous le regard des nations frontalières (Mali, Niger, Bénin, Togo, Ghana, Côte d’Ivoire).

Originaire du sud-ouest du Burkina Faso, Ibrahima Sanlé Sory pour l’état civil, commence son apprentissage aux côtés du photographe ghanéen Kodjo Adamako dès 1957. Formé à la rigoureuse pratique de la chambre, il apprend aussi les techniques du tirage et du développement, puis, opte pour un format moyen 6X6 Rolleiflex.

Printemps 1960, il ouvre son premier studio — Studio Volta Photo — dans le quartier de Diaradougou, à Bobo-Dioulasso, capitale économique et culturelle du pays. Désormais, dans son atelier, où il conçoit tous les décors, et dans la rue, il documente inlassablement la ferveur d’une jeune nation qui regarde vers l’Occident tout en inventant sa propre modernité.

Près de 200 000 négatifs

Saisies dans un somptueux noir et blanc, ses portraits capturent autant des poses solennelles et hiératiques que totalement libres et décontractées. L’Histoire se fait et se vit devant son objectif. La Haute-Volta se développe, l’effervescence est palpable. Sory Sanlé devient un témoin, un chroniqueur, tout en travaillant pour la publicité ou en signant des pochettes de disques pour l’orchestre Volta Jazz.

En outre, doté d’un sound system, il sillonne la campagne pour organiser des « Bals poussière » régalant la jeunesse qui lui offre des clichés où se mêlent connivence, douceur, humanité et optimisme. Cette somme — 200 000 négatifs sauvés, mais seulement 5 000 référencés et exploités à ce jour — reflète autant les mœurs urbaines que rurales, un temps de l’insouciance et de la croyance en l’avenir.

Thèmes locaux, résonnance universelle, humanisme, élégance… ce corpus a depuis voyagé (New York, Londres, Mérignac, Minneapolis, Los Angeles, Amsterdam, Dakar, Marrakech, Cape Town, Lagos, Oslo, Toulouse, Tel Aviv, Genève, Atlanta, Bruxelles, Paris), fait l’objet d’éditions, dont le fameux coffret Bobo Yéyé (Numero Group, 2016), et rejoint de nombreuses collections(Museum of Modern Art, New York ; Musée du Quai Branly ; Maison Européenne de la Photographie ; Fondation Cartier ; FRAC MÉCA Nouvelle-Aquitaine…).

Marc A. Bertin

Informations pratiques

« Volta Photo », Sanlé Sory,
jusqu’au samedi 15 février,
arrêt sur l’image galerie, Bordeaux (33).