L’artiste japonais Yoshitomo Nara déclinant depuis plus de 40 ans une constellation de troublants personnages enfantins aux grands yeux est à l’honneur au musée Guggenheim Bilbao avec une large rétrospective.

C’est un retour à l’enfance pour le moins original proposé au musée Guggenheim Bilbao. En effet, l’immense salle d’exposition temporaire reste peuplée au moins jusqu’au 3 novembre d’une myriade de chérubins acryliques ou sculptés procurant aux spectateurs des émotions diverses…

À la fois mignons et inquiétants, ces personnages androgynes, immédiatement reconnaissables, sont la colonne vertébrale de l’œuvre de Yoshitomo Nara, artiste à l’esthétique unique célébrée dans une exposition monographique convoquant pas moins de 128 œuvres. 

40 années de cheminements esthétiques 

Peintures, essentiellement, mais aussi sculptures, dessins, et même installations sont présentés selon un agencement thématique et non chronologique comme voulu par l’artiste. S’y dévoilent près de 40 années de cheminements esthétiques, commencés au Japon dans les années 1980, avant une expatriation pendant 12 ans en Allemagne.

Il y fait une rencontre décisive avec l’artiste A.R. Penck, à partir de laquelle son univers si caractéristique se met en place : les yeux des enfants grossissent, l’ambivalence des personnages explose, le décor disparaît, seule reste une figure centrale, celle de l’enfant. Une mutation parfaitement visible dans son œuvre Disparue au combat (1999)par exemple. Il rentre au bercail l’année suivante.

Considéré avec, notamment, Takashi Murakami comme l’un des représentants les plus renommés du mouvement Superflat, courant artistique mêlant Pop Art, culture kawai et monde des anime japonais, Yoshitomo Nara crée un peuple fascinant dont les mômes aux grands yeux sont les rois.

Un des artistes les plus côtés du marché de l’art

Si elles rappellent les Big Eyes de l’américaine Margaret Keane, les créatures qui peuplent cet étrange univers sont plus terrifiantes à certains égards. Elles scrutent le visiteur avec une haine perceptible au fond du regard comme le prouve Dans la flaque la plus profonde II.

Catalyseurs de ses émotions, les rejetons de Nara grandissent avec lui et se chargent de sa perception du monde où la noirceur semble dominer. Difficile de ne pas s’en rendre compte dans les œuvres datées après 2011 et la terrible catastrophe nucléaire de Fukushima qui a laissé une marque indélébile au Japon.

Sur les tableaux, les grands yeux se remplissent de larmes comme dans Larmes de minuit. Dans Mademoiselle Clair de Lune, même avec les mirettes fermées, l’œuvre tout entière exprime doute, vulnérabilité, tristesse et introspection. Le cadre se resserre, il ne s’agit plus que de portraits en gros plan, les touches de peinture deviennent aussi plus visibles comme pour montrer le travail du peintre derrière la toile.

Un homme devenu l’un des artistes les plus cotés du marché de l’art international qui, loin du modèle d’Andy Warhol et de sa Factory, reste seul à créer dans son studio. Un endroit qu’il offre même au regard du visiteur avec l’installation Mon atelier de dessin, 2008, chambre comprise. Pour retourner en enfance, vous connaissez maintenant le chemin. 

Guillaume Fournier

Informations pratiques

« Yoshitomo Nara »,
jusqu’au dimanche 3 novembre,
musée Guggenheim Bilbao, Bilbao (Espagne).

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