Le metteur en scène, artiste associé du TAP à Poitiers, Jean-François Sivadier, y présente deux pièces aux antipodes : un trio mélomane au cordeau et une tragédie flamboyante et festive.
En programmant deux pièces — un de ses tubes et sa dernière création —, Raphaëlle Girard, directrice du TAP, à Poitiers, éclaire l’étendue de la palette de Jean-François Sivadier, metteur en scène prolixe du théâtre public français.
Dans Sentinelles, ce serait son art de ciseler l’écriture (ici inspirée d’un roman de Thomas Bernhard), pour faire des joutes verbales autour de la musique classique, une pièce volubile et vibrante. Portrait de famille, une histoire des Atrides quitte la sobriété scénique pour basculer dans un tourbillon sensoriel, quatre heures durant. Une fête théâtrale dont il a le secret — n’est-il pas un grand admirateur d’Ariane Mnouchkine ? —, où la comédie n’a pas peur de frayer avec la tragédie, y compris la plus sanglante de l’histoire du théâtre.
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Un théâtre qui donne envie de revenir
« On n’a jamais autant ri dans les Atrides », commentait la presse à sa création l’an dernier.
Sans ses acteurs fétiches (pas de Nicolas Bouchaud en vue), il y guide quatorze comédiens tout juste sortis du Conservatoire national de Paris dans une partition virevoltante, puisant dans Eschyle, Sophocle ou Sénèque, matière à jouer, malaxer, émerveiller. « Ce qui fait la principale particularité du jeu dans mes spectacles, c’est que le plaisir et la joie de prendre la parole sont le premier enjeu », rappelait-il récemment.
Ce théâtre exigeant, populaire, a le mérite d’embarquer aussi bien ceux qui connaissent sur le bout des doigts l’épopée sanglante de la famille d’Agamemnon, Clytemnestre et Oreste, que les néophytes. Comme Mnouchkine, Sivadier porte une attention particulière aux personnes « qui viennent pour la première fois », et imagine un théâtre qui leur donne envie de revenir.
Joutes verbales contradictoires
La même générosité accompagne Sentinelles, qui tourne depuis 2021 avec un succès non démenti. On y rit moins que dans les Atrides (un peu quand même), le propos y est plus serré, plus sobre. Ici, les ressorts d’une amitié masculine nouée autour de la musique y sont décortiqués, avec trois fois rien de mise en scène. Trois pianistes, aux personnalités tranchées, se connaissent depuis l’adolescence et partagent tout, jusqu’à un impitoyable concours international à Moscou qui vient mettre fin à leur relation.
Mathis Schielmann (très grand Vincent Guédon) est le fils d’une pianiste renommée, petit prodige précoce, rebelle dans l’âme, ayant en horreur le consensus esthétique, préférant la complexité et les exigences d’une avant-garde. Swan Estovan (Samy Zerrouki), plus travailleur que génie, respecte les grands noms — Mozart en tête —, fait preuve d’un académisme à toute épreuve, préfère les étiquettes et l’accessibilité émotive aux bizarreries esthétiques. Et puis, il y a Raphael Desparnès (Julien Romelard), qui ne peut imaginer un art hors sol, et a besoin de le relier au contexte social et politique.
De débats violents en répits musicaux, la pièce de 2h30 trouve son énergie dans un engagement corps et âmes des comédiens, tout entiers tournés vers ces joutes contradictoires. Et, bien au-delà des clins d’œil musicaux, questionne les relations de pouvoir, la place de l’art, et propose une passionnante mise en abymes de ce qu’être interprète veut dire.
Stéphanie Pichon
Informations pratiques
Sentinelles, texte, mise en scène, scénographie Jean-François Sivadier,
mercredi 20 février 2025, 20h30,
jeudi 20 février 2025, 19h30,
TAP, Poitiers (86).
www.tap-poitiers.com
jeudi 20 mars 2025, 20h, Le Théâtre, Périgueux (24)
www.odyssee-perigueux.fr
mercredi 26 mars et jeudi 27 mars 2025, 20h, Le Foirail, Pau (64).
espacespluriels.fr
Portrait de famille — Une histoire des Atrides, texte et mise en scène Jean-François Sivadier,
vendredi 7 février 2025, 19h30,
samedi 8 février 2025, 16h,
TAP, Poitiers (86).
www.tap-poitiers.com