Humour british, merveilleux, horrifique et kryptonite, la 52e édition du Festival international de la Bande dessinée d’Angoulême du jeudi 30 janvier au dimanche 2 février 2025, compte sur Posy Simmonds, trois monuments du manga contemporain et un Homme d’Acier inoxydable pour offrir une petite parenthèse enchantée à la bédésphère en plein bouleversement.
2024 a-t-elle marqué la respectabilité définitive de la bande dessinée ? Tandis que les ventes d’originaux des maîtres du 9e art affolent les enchères, le Centre Pompidou a enfin daigné célébrer le médium à travers une exposition très médiatisée, à défaut d’être réellement disruptive sur le fonds comme dans la forme. Voilà pour le côté face, côté pile, le segment éditorial traverse une nouvelle période de transition avec un marché pris entre des effets de concentration éditoriale et un émiettement et une volatilité extrême du lectorat.
Gueule de bois pour les acteurs de la BD
Ainsi, entre le rachat prochain du groupe Delcourt par Editis, l’arrivée massive de gros éditeurs littéraires dans le champ du « roman graphique » documentaire, la stagnation économique des bandes dessinées de genre et même du manga, l’invisibilisation grandissante des petits éditeurs alternatifs dans les librairies, la multiplication de livres au contenu ultra-ciblé et à la durée de vie ultra-limitée, l’envolée des coûts de fabrication, il va sans dire qu’après les quelques années champagne de l’après-covid, l’économie de la bande dessinée se trouve à la croisée des chemins amorçant une phase de mutation qui prend des allures de gueule de bois pour nombre d’acteurs du métier.
Comme à l’habitude, le FIBD se retrouve au carrefour de ces tensions et a pour objectif, comme chaque année, d’user de la souplesse de Simone Biles pour contenter au mieux les exigences des partenaires, des éditeurs, des auteurs et du public pour faire rayonner le 9e art et, accessoirement, la structure organisatrice souvent décriée — 9e Art+ — dont le mandat est en pourparlers de reconduction cette année.
Impasse sur le dernier né de Bastien Vivès
De fait, la sélection d’albums taxée depuis plusieurs années d’être trop « pointue » s’ouvre davantage vers des titres considérés comme plus grand public, tandis qu’un œil sur la composition des jurys confirme la part belle faite aux « créateurs de contenus » au détriment des spécialistes du domaine.
Anticipant toutes polémiques, la compétition a sans surprise fait l’impasse sur le dernier né de Bastien “Gargamel” Vivès inévitablement absent, et par ricochet sur son éditeur Charlotte, boudé alors qu’il nous est enfin donné l’occasion de lire le génial travail du météorite italien Andrea Pazienza, mélange de Tanino Liberatore et Crumb, qui, 30 ans après sa mort précoce, se montre toujours aussi explosif et inapte à tout lissage rétrospectif.
Focus sur la carrière de l’auteur de Tamara Drewe
Laissons donc les spéculations sur le palmarès pour se concentrer sur les expositions avec, à tout seigneur tout honneur, un focus sur la carrière de la dernière lauréate du Grand Prix, Posy Simmonds, révélée notamment par sa variation flaubertienne Gemma Bovery et par l’incisive Tamara Drewe. Entre livre illustré et bande dessinée, ses œuvres justifient pour une fois pleinement leur appellation de « roman graphique », tant les deux formes écrite et dessinée cohabitent chez elle harmonieusement.
Derrière un dessin d’une grande lisibilité, Simmonds n’a pas son pareil pour scruter et moquer l’habitus des microcosmes littéraires, artistiques, universitaires ou bohèmes, pris dans les éternels jeux de pouvoir, de séduction et de petites lâchetés, faisant d’elle une vraie rebelle en tweed.
Côté manga, le FIBD a mis le paquet avec trois pointures dans leur genre respectif. Alors que Lovecraft est tombé dans le domaine public, Gou Tanabe s’est attelé à mettre en image l’auteur réputé inadaptable. À grand renfort d’encre de Chine, les pages gluantes de noir, l’auteur est l’un des rares à restituer l’ambiance poisseuse du misanthrope de Providence, même s’il reste difficile d’oublier le génie de Breccia en matière d’« indicible » lovecraftien.
La grande histoire de Superman
Déjà venu en 2010, en catimini, l’immense Makoto Yukimura, auteur de Planètes, nous avait alors glissé qu’il avait l’habitude de dessiner ses planches en slip lors des étés caniculaires tokyoïtes. Voilà qui l’a peut-être incité à se rafraîchir en s’intéressant à la grande épopée viking avec son flamboyant Vinland Saga, qui taille des croupières à notre immarcescible Thorgal. Au rayon best-seller, L’Atelier des sorciers pourrait paraître comme un simple Harry Potter à la sauce manga, à ceci près que l’autrice, Kamome Shirahama, a la belle idée de créer un monde singulier, où la magie procède du dessin ; belle allégorie du métier de bédéaste. Carton assuré donc pour cette expo située dans le bien trop étroit hôtel Saint-Simon et qui va générer assurément beaucoup d’attente pour y accéder.
Après un tour du côté du travail très téléramesque et bien peigné de la scénariste Julie Birmant, on se pressera pour découvrir la grande histoire de l’Homme d’Acier alias Superman, matrice de tous les héros en latex créée par deux jeunes juifs new-yorkais, Jerry Siegel et Joe Shuster, qui vendirent les droits de leur création contre un chèque misérable de 150 dollars. L’histoire finira (relativement) bien pour les spoliés, mais montre que le monde merveilleux de la bande dessinée a depuis toujours été à la merci d’impitoyables Lex Luthor.
Nick “Fury” Trespallé
Informations pratiques
Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême,
du jeudi 30 janvier au dimanche 2 février 2025,
Angoulême (16).
« Posy Simmonds. Herself ».
« Julie Birmant, les Herbes folles »,
musée du Papier.
« Vinland Saga : une quête d’identité »,
Alpha Médiathèque.
« L’Atelier des sorciers : la plume enchantée de Kamome Shirahama »,
Hôtel Saint-Simon.
« Gou Tanabe × H.P. Lovecraft : visions hallucinées »,
Espace Franquin.
« Superman, le héros aux mille-et-une vies »,
Vaisseau Moebius.