D’abord maître d’hôtel, puis artiste, galeriste et enfin commissaire d’exposition, Irwin Marchal est un acteur remuant du monde de l’art contemporain bordelais, au parcours étonnant. Une force qui lui permet d’enseigner aujourd’hui les trucs et astuces pour y pénétrer avec réalisme.

Plein cœur de Bordeaux. C’est sur une terrasse de la place de la Victoire qu’Irwin Marchal convoque avec nous ses souvenirs et son présent. De ses débuts en salle de restaurant, en passant par le virage des Beaux-Arts du Mans jusqu’à son dernier projet innovant, placé aux Bassins à flot, le Champenois a appris à connaître le milieu de l’art contemporain comme sa poche. Cet hyperactif aux mille projets a même glissé récemment une flèche “formation” à son arc.

Es-tu un “natif” du monde de l’art ?

Pas du tout ! Je viens d’une famille de commerçants. Ma mère était coiffeuse, mon père restaurateur. J’ai baigné dans l’environnement du petit commerce : le savoir “bien-accueillir”, la proximité avec la clientèle, la sympathie naturelle… Le commerce est une question anthropologique. Cela fait 6 000 ans que l’être humain le pratique. Cela peut être sain si chacun s’y retrouve.

Côté école, une dysgraphie [trouble de l’écriture, NDLR] non diagnostiquée m’a mené vers l’échec scolaire. J’ai pris la voie de la formation professionnelle, un CAP. J’ai ensuite travaillé dans la restauration pendant dix ans. De mes 16 à mes 26 ans, j’ai beaucoup voyagé. Un jour, après un service, j’ai utilisé le matériel de dessin de mon grand-père qui venait de décéder. Par nostalgie. Ça m’est tombé dessus.

Au point de vouloir devenir artiste ?

Pas immédiatement. Il n’y a pas de mauvaise raison pour venir à l’art. Moi, je voulais m’occuper les mains. Mon père trouvait que ce que je faisais valait le coup. Physiquement, moralement, j’étais rincé par la restauration et les 70 heures par semaine, perdant entre 5 et 10 kg par saison.

Je me suis donc inscrit au concours des Beaux-Arts du Mans, sans même avoir obtenu le baccalauréat. Au bagout. Ça a marché. Puis j’ai basculé sur l’école de Bordeaux. J’ai alors voulu devenir artiste. Je vivais vraiment pour ça.

J’ai affiné ma maîtrise du moulage, de la sérigraphie, de la perspective. J’ai découvert la filiation des époques artistiques, l’architecture. J’ai écrit un mémoire autour de l’esthétique des catastrophes. Comment celles-ci ont pu avoir un impact sur les arts, comme après le sac de Rome (1527) et l’arrivée de Pontormo, ou lors du mouvement Dada après la Première Guerre mondiale.

Puis j’ai mené ma carrière d’artiste dans un atelier de la Fabrique Pola (Bordeaux), arpentant le salon de Montrouge, le salon de la Jeune Création, apprenant à monter des dossiers… Mais être artiste, c’est être beaucoup dans l’attente, ça ne me convenait pas.

C’est la raison pour laquelle tu as basculé sur la gestion de lieux artistiques ?

À Bordeaux, j’ai découvert des lieux intéressants, des galeries. Après Pola, j’ai trouvé un atelier rue Leyteire. Jusque-là, j’avais pu faire de petits commissariats dans des appartements, des caves. Mais ici, on a pu imaginer un vrai lieu d’exposition baptisé “Silicone”. On a d’abord fait du lieu une salle d’expo en alternant avec une location pour des particuliers qui pouvaient dormir au milieu des œuvres. Puis on a rapidement vendu des œuvres, ce qui est très excitant.

J’ai aussi développé une pratique d’écriture autour des œuvres, ça me plaisait. Ce n’est pas facile de vendre de l’art. Les gens ont besoin de ressentir un coup de cœur. C’est très souvent une question d’ambiance et de timing. C’est un truc de commerçant de les inciter à basculer. Comme le fait de repérer les tics des gens qui veulent être convaincus. On a été autonomes pendant cinq ans, en organisant de beaux vernissages ! Puis le Covid a perturbé tout ça.

Mais ce succès avait amené les collectivités vers toi…

Tout à fait. On participait au rayonnement culturel local sans les solliciter. L’ouverture de Silicone m’a ouvert plein de portes. Les gens du métier sont venus. On m’a proposé la Forêt d’Art Contemporain, l’ouverture de la MÉCA (Maison de l’économie créative et de la culture en Nouvelle-Aquitaine)… C’est ça qui est important : créer les conditions de son autonomie pour ne pas être dans l’attente, créer de la confiance autour de soi.

Quelles sont les spécificités du métier de commissaire ?

Je présente aux artistes tout le processus : la répartition financière, la prise en charge du transport, la com… pour qu’ils sachent qu’il n’y a pas de vice caché. Si on bosse bien, leur travail peut rayonner sur la région. Sur la Forêt d’Art Contemporain, la Drac, la Région, les Départements et les villages se sont regroupés pour proposer de l’art dans des lieux atypiques de la forêt, entre Gironde et Landes.

En fonction du site choisi, je suis chargé de trouver un artiste. Je travaille beaucoup via Instagram pour trouver des œuvres qui entrent en résonance avec un patrimoine naturel ou bâti. Puis je suis la production, je serre des mains, j’assure la médiatisation, la médiation avec le public. J’adore ça.

Un artiste doit-il passer par ce travail de médiation pour exister ?

Il faut savoir se faire violence. On fait de l’art pour les autres, le mettre dans le monde, s’ouvrir à la critique, au champ du langage. Un commissaire est au carrefour de la vie de l’œuvre. Il aménage les lieux qui exposent, en défendant l’œuvre via l’écrit et les relations publiques.

Un nouveau projet bientôt ?

Nous allons nous implanter bientôt dans un lieu près des Bassins à flot, à Bordeaux, afin de lancer un espace d’expositions collectives. Je fais également des formations sur la question de l’art dans l’espace public afin de mettre plus facilement en relation artistes et pouvoirs publics. J’enseigne également les dessous du marché de l’art.

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Article issu de notre supplément Guide des Formations 2024 à retrouver en version PDF