Figure essentielle de la contre-culture des années 1970, Trina Robbins compose une anthologie somptueuse autour d’héroïnes délurées qui ont encanaillé la BD durant les années folles. Champagne !
Sacrée docteure honoris causa par l’Université Bordeaux Montaigne en 2023, Trina Robbins est décédée au mois d’avril dernier laissant en plan tous les nombreux projets que la dynamique militante octogénaire portait encore dans ses cartons.
Alors que son œuvre graphique reste encore largement inédite en français (mis à part quelques apparitions dans le subversif Ah Nana !), l’autrice a vu son autobiographie Last Girl Standing publiée il y a deux ans [cf. JUNKPAGE, mai 2022, NDLR], délivrant le témoignage d’une geek avant l’heure, fan de Sheena reine de la jungle et de SF, qui vécut à fond l’effusion culturelle d’après-guerre.
Couturière branchée et dessinatrice underground
Après avoir fréquenté le milieu beatnik, elle deviendra une couturière branchée tout en se faisant un nom comme dessinatrice underground en pleine période Flower Power. Amie de Shelton mais vacharde envers Crumb, elle sera l’une des rares voix féminines d’un champ encore largement masculin, fédérant une poignée de dessinatrices autour d’elle dans plusieurs anthologies fondatrices comme It Ain’t me Babe.
Parallèlement, l’autrice s’est doublée d’une historienne du 9e art, s’employant à réhabiliter l’apport de pionnières oubliées. Garçonnes se concentre en cela sur celles qui ont œuvré dans les années 1920, décennie marquée par la frénésie économique d’après-guerre. Les lecteurs des journaux quotidiens font alors la connaissance de Prudence Pim, Flossie, Fossette ou Gloriette la Française, autant de personnages surnommés « Brinkley Girls », du nom de la dessinatrice star de l’époque Nell Brinkley dont le style tout en volutes et en maniérisme offre un condensé de l’esthétique chic et moderne des années folles.
Le cadeau idéal pour la petite cousine féministe
Issues de la haute société, ces jeunettes surjouent les écervelées, vraies-fausses ingénues qui ont souvent une longueur d’avance sur leurs multiples prétendants tout en rêvant cinéma quand elles ne roulent pas à toute berzingue. La souplesse du trait et l’élégance de Brinkley sont plus proches de l’illustration décorative que de la bande dessinée, mais certaines de ses émules oseront s’émanciper pour aller vers la caricature telle l’audacieuse Fay King qui se croque dans une allure préfigurant Olive, la compagne dégingandée de Popeye.
Tout ceci est délicieusement charmant, et s’impose comme le cadeau idéal pour la petite cousine féministe, mais aussi pour le tonton polisson fétichiste de longues jambes et de talons aiguille. Ah, la magie de Noël…
Nicolas Trespallé
Informations pratiques
Garçonnes, les autrices oubliées des années folles, Trina Robbins,
traduit de l’anglais (États-Unis) par Marie-Paule Noël,
lettrage et adaptation graphique par Laura Lebouc.
Bliss Éditions