La Maison basque à Bordeaux convoque la poétesse Itxaro Borda à l’œuvre prolifique pour plonger dans le monde de la poésie basque au féminin. Parfait pour célébrer la journée internationale de cet idiome avec un peu d’avance.

La langue basque est un marqueur important de l’identité de la région, comment évolue-t-elle ces dernières années ? Y a-t-il une augmentation du nombre de locuteurs ?

C’est une des plus anciennes langues d’Europe. Nous connaissons mal ses origines et il est difficile de prédire aussi son futur ! Au Pays basque Nord [la partie française, NDLR], il y a un changement de la population qui parle basque. Avant, il s’agissait surtout de personnes vivant dans des zones rurales, des personnes assez âgées.

Maintenant, ce sont plus des jeunes, des urbains, des femmes aussi, qui récupèrent cette langue, mais en moins grand nombre que les anciennes générations. C’est un moment charnière de la transmission du basque avec un flou sur l’avenir. Ce dont nous sommes sûrs, c’est que la majorité des habitants de cette région sont favorables à cette langue, son enseignement, et son utilisation. Ce n’était pas le cas il y a quarante ans. L’ambiance a évolué positivement. 

En tant qu’écrivaine et poétesse, que représente le fait de travailler cette langue, d’essayer de l’amener plus loin grâce à la poésie ?

Ça représente toute ma vie ! J’ai commencé à écrire en basque quand j’étais adolescente, publié mon premier texte à 15 ans. Je continue depuis à écrire et à porter toute mon énergie au développement du basque. Le mieux que je puisse apporter sur le plan littéraire, c’est d’être libre par rapport à cette langue, de l’écrire comme je le sens, et comme j’aimerais l’entendre. Comme beaucoup d’autres personnes vivant dans cette région, j’ai aussi apporté ma part de militantisme pour la promotion du basque.

Vous arrive-t-il aussi d’écrire en français ?

Longtemps, je n’ai écrit qu’en basque. Dans les années 2000, j’ai commencé à m’auto-traduire et, petit à petit, j’ai écrit aussi en français, qui, le plus souvent, me sert de miroir à ce que j’écris en basque. Je traduis en français, puis, ce que je trouve comme améliorations possibles, je le reporte en basque. C’est un jeu entre les deux langues. L’écriture en français enrichit de toute façon ma pratique d’écriture en basque. C’est un autre plaisir. 

Y a-t-il une des deux langues où vous sentez qu’il y a plus de jeu, où c’est plus intuitif pour vous d’écrire ?

Ce n’est jamais l’un ou l’autre. Choisir le basque ne m’oblige pas à refuser le français, et inversement. En général, quand on est francophone, on choisit une langue. En France, nous avons longtemps entendu qu’il ne fallait pas parler en basque, que ça limitait notre intelligence. C’est complètement faux.

Pouvoir jouer, travailler et vivre avec deux langues ou plus est une vraie richesse ; plusieurs langues dont on ne connaît pas vraiment la valeur dans la sphère francophone. Je ne choisis pas, je travaille avec les deux selon les demandes et les possibilités qui me sont offertes. Même si la langue qui me fonde, qui m’enracine, c’est quand même la langue basque.

Vous avez récemment intégré l’Académie de la langue basque. De cette place, quel constat pouvez-vous faire sur la place de la poésie en langue basque ?

Nous avons été pendant très longtemps une langue au service de la poésie, nous avons eu de très grands poètes depuis des siècles. Durant les dernières décennies, le roman a pris la tête de la création littéraire et des ventes aussi. Depuis mon admission, j’ai intégré la commission littéraire.

Je suis chargée, entre autres, avec deux autres poètes de mettre en place le festival de poésie Irailekoakqui s’est tenu pour sa deuxième édition fin septembre à Itxassou. Un rendez-vous qui se déroule chaque année entre le Nord et le Sud du Pays basque [le Pays basque français et espagnol, NDLR]. La volonté est de donner une resocialisation de la poésie à partir de l’académie.

Vous venez à la Maison basque pour parler en particulier des poétesses de langue basque, comment influent-elles sur ce genre littéraire ?

Longtemps, la littérature basque a été un monde d’hommes, de voix masculines. On n’imaginait pas qu’une femme puisse écrire en basque, ou alors exceptionnellement, à l’ombre de son frère ou de son mari.

À partir des années 1980, il y a eu beaucoup de femmes qui se sont lancées dans cette aventure littéraire. Aujourd’hui, si on regarde les sorties en librairie, il y a quasiment 50% d’écrivaines. La présence est forte dans tous les domaines notamment en poésie. Il y a une nouvelle génération de poétesses de 20-25 ans qui arrive en force ! Une thématique que je vais développer durant la conférence. Je vais aussi parler de ma poésie, même si je n’ai plus 20 ans !

Je vais proposer des lectures en basque et en français de ces poétesses qui sont des amies. L’idée est de partager tout ça et d’être la voix de sujets assez peu traités comme la place de la femme dans la société basque, les féminicides, les violences de genre. Des thématiques qui ne se trouvaient pas autrefois dans la littérature basque. Cette grande révolution non-violente –mais qui a subi beaucoup de violences – qu’est le féminisme dirigera ma parole comme elle dirige la parole de nombreuses poétesses dans le Pays basque.  

Pour finir, avez-vous une œuvre à recommander comme porte d’entrée au monde des poétesses de langue basque ?

En français ou en basque, il n’y a pas d’anthologie de poétesses en langue basque. Je me risque à faire une petite promotion personnelle ayant moi-même publié, en 2012, une anthologie de mes poèmes aux éditions Maiatz : Le Réveil de Médée et autres poèmes. Dans cette anthologie, je parle d’ailleurs de toutes les autres poétesses qui m’entourent en leur rendant comme un hommage avec mes mots et à partir de ma pratique. Mais à chaque fois que je traduis une poétesse basque en français, je me demande si un jour je ne vais pas sortir une anthologie de toutes mes traductions en version bilingue. Il ne manque plus que l’éditeur car l’intérêt du système littéraire francophone par rapport aux productions en langues régionales est très faible…

Propos recueillis par Guillaume Fournier

Informations pratiques

Poétesses du Pays basque,
samedi 30 novembre,
Maison basque, Bordeaux (33).