Avec « Super-héros & cie, l’art des comics Marvel », librement inspirée de l’univers de la maison d’édition nord-américaine, la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême jette un regard inédit sur ce pan de la culture populaire.

Les larmes de Norrin “Le Surfer d’argent” Radd, séparé pour l’éternité de sa bien-aimée Shalla-Bal, pour avoir trahi Galactus, le dévoreur de planètes. L’amertume chevillée au corps de Benjamin “La Chose” Grimm.

Les tourments adolescents de Peter “Spider-man” Parker comme en écho aux chansons poignantes des Beach Boys. Les allusions à la Shoah parcourant les tribulations des X-Men. Le cynisme dur à cuire de James “Serval” Howlett… Les images des comics Marvel éveillent indubitablement plus d’un souvenir, commun à quiconque a baigné dans une certaine pop culture.

La révolution Marvel

Bien avant sa domination des écrans avec son fastidieux Marvel Cinematic Universe — renforcée par le rachat rubis sur l’ongle de Disney après avoir frôlé la faillite dans les années 1990 —, Marvel n’était qu’un modeste concurrent de l’écurie DC Comics (Superman, Batman, Wonderwoman, Flash Gordon, Green Lantern), dont la première figure, déjà tragique, n’était pas un super-héros mais un réel anti-héros : Namor, prince des mers, créé en 1939. La première marche vers le succès épouse l’Histoire avec Captain America, soldat superlatif et patriote aux valeurs démocratiques, apparu avant Pearl Harbor.

Nonobstant, c’est au début des années 1960 que Marvel opère sa révolution. Sous la houlette de l’ineffable Stan Lee et de son complice Jack Kirby, les séries à succès se multiplient : Les Quatre Fantastiques, X-Men, Les Vengeurs, L’Incroyable Hulk, Thor. Face à la demande, le rythme de production s’accroît, la « Marvel Way » se met en place au profit des dessinateurs — Steve Ditko, Don Heck, Bill Everett, John Romita — qui façonnent à leur guise Spider-Man, Iron Man, Docteur Strange, Daredevil.

Il ne fallait pas moins qu’un tandem, formé par Xavier Fournier, collectionneur passionné devant l’éternel, et Jean-Philippe Martin, conseiller scientifique recherche et programmation de la Cité de la BD et de l’image, pour tenter d’embrasser l’ampleur de cette production unique. Le duo s’appuyant de surcroît sur un don inouï, effectué en 2005, d’imprimés et de fascicules (400 000, publiés entre les années 1950 et la fin des années 1990 !) méritant d’être enfin mis à sa juste valeur.

Super-héros et indispensables super-vilains

À l’arrivée, les chiffres donnent le tournis : 170 planches originales, 90 artistes internationaux, 230 planches appelées à tourner régulièrement. On devine aussi le casse-tête et les crève-cœur… car, finalement, Marvel, — ses super-héros et ses indispensables super-vilains (Thanos, Kang, Magneto, Docteur Fatalis, Méphisto pour ne citer qu’eux), son bestiaire, ses univers (croisés, méta, mais jamais clos) —, n’est rien d’autre qu’une relecture fantasmée de l’époque.

De l’ennemi nazi à la menace communiste, de la guerre froide à celle du Vietnam, du mouvement en faveur des droits civiques au Women’s Lib, de Bruce Lee au disco, des idéaux hippies à la science-fiction, de la gueule de bois des années Nixon au satanisme, cette fabrique du merveilleux, devenue pilier de l’industrie du divertissement, ne « fait » que prendre le pouls du Monde tel qu’il va, y compris dans sa noirceur (The Punisher, Ghost Rider).

Une arrivée tardive en France

Et la France dans tout ça ? C’est en 1967 que la galaxie Marvel arrive officiellement avec Les Chefs-d’œuvre de la bande dessinée, qui traduit quelques pages des Quatre Fantastiques et de Spider-Man. Puis, à partir de 1969, l’éditeur lyonnais Lug et son concurrent Artima (situé à Tourcoing) se partagent les traductions non sans peine face aux ciseaux de la censure. Le légendaire mensuel Strange, tout en adaptant au goût hexagonal (des couvertures aux planches), popularisera Spider-Man, X-Men, Iron Man et Daredevil.

Destinée aux néophytes comme au geeks suprêmes mais aussi à toute personne sensible à l’histoire de la bande dessinée, « Super-héros & Cie. L’art des comics Marvel » offre un parcours aussi riche que ludique, fourmillant d’anecdotes et de détails, véritable malle aux trésors susceptible de ravir tous les publics à condition de ne croire qu’à une chose : la force et le merveilleux d’une histoire.

Marc A. Bertin

Informations pratiques

« Super-héros & Cie. L’art des comics Marvel »,
jusqu’au dimanche 4 mai 2025,
Musée de la bande dessinée, Angoulême (16).