Pour sa 10e édition, la biennale de Melle dans les Deux-Sèvres, observe l’état du monde à travers le prisme d’enjeux écologiques universels et de rapports de force auquel l’homme ne parvient à se soustraire sauf à se mettre au diapason du vivant. « Nous merveillons » affirme son commissaire, le plasticien Évariste Richer.
Connaissiez-vous la biennale de Melle ?
J’en avais entendu parler par écho en raison de mes liens familiaux en Charente, mais ma véritable découverte, ce fut à la faveur de sa 9e édition. J’avais été sélectionné pour un appel à commande publique de ce qui allait devenir le projet du Métaprisme.
J’ai tout de suite été séduit par cette ébullition de culture, la triade romane, la sédimentation à l’œuvre dans ces lieux ; l’aspect qui m’a le plus intéressé. J’ai pour habitude d’épuiser un contexte en l’explorant, en m’ouvrant à une logique de dérive.
Que ressent-on lorsque l’on est nommé commissaire d’exposition d’une biennale, qui, en outre, célèbre sa 10e édition ?
Un honneur et une opportunité unique car c’est la première fois que j’en conçois une en tant qu’artiste. C’est également le moyen de déclencher une vision plus élargie de l’art. Ce qui se développe à Melle, du patrimoine roman à la préservation de la faune et de la flore en passant par son arboretum, en fait un lieu de symbiose.
J’y ai développé en le ramifiant mon alphabet artistique, au-delà même de mon propre art. Mon ambition était de fusionner plusieurs regards et de rendre mon regard au monde pluriel.
Pour cette proposition, avez-vous été longtemps en immersion dans la ville pour tenter de l’appréhender et vous inscrire dans un geste qui remonte ici à 1989 avec une première intervention signée Knud Viktor ?
Ici se joue une véritable histoire qui a plus de 30 ans. Je me suis penché dans les livrets et les écrits de la première commissaire, Dominique Truco. J’ai constaté une sédimentation et non une logique de rupture. Il y a une osmose à l’œuvre, beaucoup de choses sont restées. L’esprit de Melle, c’est la résistance et cela me fascine.
Une vertu également au cœur des gestes de Gilles Clément, qui agit tel un catalyseur : sa pensé du Tiers paysage, son respect pour la biodiversité. Ce soin se concentre au Jardin d’eau-Jardin d’orties. Cet herbier du vivant, au cœur de la ville, me subjugue. Tous ces fragments d’histoire m’ont stimulé pour mon commissariat à tel point que j’envisage Melle comme un fragment du Monde cristallisant les questions d’aujourd’hui et de demain. Je me suis contenté d’effectuer une modeste greffe.
50 artistes, entre commandes initiées spécifiquement et prêts d’œuvres, comment trouve-t-on le bon équilibre ?
Cela s’est fait de manière assez fulgurante, beaucoup d’artistes de geste me sont subitement revenus en mémoire, d’autres se sont aussi naturellement imposés. Il y avait une pertinence à cet endroit, donc la mécanique fut très rapide. Ce foisonnement est à l’image de la vie intense au sein du bocage. J’aime à parler d’une pensée « en buisson », qui, par définition, est grouillante.
10 artistes ont produit leurs œuvres sur place ; un vrai travail d’approche et la mise en place d’une mécanique généreuse. Ce qui m’a aussi guidé, c’est un proverbe mexicain — « Ils ont voulu nous enterrer. Ils ne savaient pas que nous étions des graines. » — revendiqué par le service culturel de la Ville. Je l’ai suivi non pas à la lettre, mais comme une sorte de mantra. Chaque œuvre est en elle-même un écosystème. Chaque artiste fabrique de la vie et fertilise le territoire et le regard.
« Nous merveillons » et son ortie, en guise d’emblème, est-ce un manifeste ou le regard d’artistes sur la question du vivant ?
Nulle affirmation, simplement l’idée de scintillance des délaissés, des zones de survie — là où, paradoxalement, la vie se développe — plus que jamais menacées. Un écho avec la mise à mal de la préservation de ces dernières places de biodiversité. Cela me motive pour éveiller modestement les consciences et que l’art prenne aussi sa part.
Chaque pièce n’est pas une affirmation politique, encore moins un acte au premier degré. Non, à Melle, tout se joue entre contraste et opposition, beauté et inquiétude ; j’aime cette ambivalence. Si l’ortie est un emblème d’apparence fragile, sur l’affiche, elle est argentée en mémoire aux mines d’argent qui ont dévasté la forêt primaire. C’est précieux mais à double tranchant…
Vous parlez d’une « partition éphémère », qu’est-ce à dire ?
Ça convoque le bruissement. Par nature, cette proposition est éphémère, une construction de notes pour composer un moment ne durant que 3 mois ; une partition de sens et de sons.
Comment un artiste fait-il pour marcher dans les pas de Gilles Clément, jardinier et philosophe, figure tutélaire de la Biennale depuis 2017 ?
Il n’est pas mon théoricien modèle, mais une sensibilité vigilante que je prends en compte dans mon rapport au vivant. J’apprécie sa pensée qui s’est développée à l’échelle du jardin et ce va-et-vient permanent entre le plus enfoui et le plus aérien, l’intime et le monde. Elle est proche de la note voire du haïku. Ses réflexions font toujours sens.
Chez lui, la notion de transmission est fondamentale, il est de facto une figure tutélaire même au-delà de Melle. Ses gestes poétiques s’inscrivent dans tout le territoire. Sa pensée rend plus heureux et ceci est plus que jamais précieux. Il propose un devenir sensible. Il est un tout, un écosystème à lui-même.
Vous-même intervenez à l’église Saint-Pierre, dans le cadre d’une commande publique initiée en 2010 pour la « triade romane » qui fait la réputation de la ville. Une espèce d’arc-en-ciel, situé en son clocher, appelé à devenir un Métaprisme. De quoi s’agit-il ?
Une proposition simple. L’église Saint-Pierre, construite au début du XIIe siècle et classée monument historique en 1862, est la plus petite, la plus intime, avec sa nef biscornue en scoliose. J’apprécie sa simplicité et son humilité plus prononcée que celle des autres églises. J’ai mené une longue réflexion, désirant ne surtout pas ramener un objet qui surchargerait cet endroit devenu un espace polyvalent depuis sa désacralisation. Puis, tout s’est déclenché en grimpant au clocher. Le clocher, c’est le phare dominant la ville, diffusant des sons, émettant de messages comme les appels à la prière. J’y ai découvert un beffroi désaffecté, où les cloches avaient disparu.
J’ai voulu les remplacer et effectuer un travail sur la lumière en la décomposant. Ainsi ai-je transformé les abat-sons, initialement destinés à ramener le son au sol. En jouant d’une espèce d’apparition magique, le soleil révèle alors un dégradé de couleurs. Les abat-sons ont été supprimés au profit de lamelles de verre provoquant un jeu qui se réfléchit au sol et en extérieur. La lumière traverse l’oculus du transept dans lequel une plaque de verre a été installée. Il s’agit d’un jeu sur la simple présence lumineuse, indexée par la courbe du soleil, une logique d’apparition liée au cycle du soleil, des saisons, des nuages… Je ne fabrique pas un arc-en-ciel. Le clocher devient, in fine, une espèce d’amplificateur non plus du son mais de la lumière.
Qu’est-ce qui vous émerveille le plus à Melle ?
Le soin porté à la nature par les services techniques de la Ville, mais également l’arboretum, riche de plus de 1 000 essences uniques et rares, venues du monde entier et formant une communauté d’arbres. Je suis sensible à cette idée d’une croissance par la migration des plantes. J’ai également pris conscience d’un écosystème invisible à l’œil et suis émerveillé par la solidarité qui s’exerce dans cette ville, l’urgence à protéger le vivant dans un laboratoire qui se construit en permanence. La nécessité de prendre soin perpétuellement aux plus petits détails. J’ai ainsi focalisé mon regard sur l’infiniment petit et l’infiniment fragile.
Propos recueillis par Marc A. Bertin
Informations pratiques
« Nous merveillons », 10ᵉ biennale d’art contemporain de Melle,
jusqu’au dimanche 29 septembre, Melle (79).