Jusqu’au 6 octobre, à Bordeaux, arc en rêve sonde le legs de Walt Disney dans l’inconscient collectif occidental au XXe siècle.
C’est l’histoire d’une petite souris devenue titan du divertissement. Proche de la banqueroute dans les années 1980, elle a avalé tout cru ABC, ESPN, National Geographic, Pixar, 20th Century Fox, Marvel. En plus de cent ans, ce nom, irrémédiablement associé au film d’animation, a modelé l’imaginaire mondialisé. Si cette influence est disséquée de longue date, rares sont les regards portés sur l’héritage architectural et urbain.
Une petite souris devenue titan du divertissement
Conçue par Saskia van Stein, directrice du master de recherche en design & exposition de la Design Academy Eindhoven, « L’architecture des réalités mises en scène, (re)construire Disney » a d’abord été présentée, en 2021, au Nieuwe Insituut de Rotterdam, au Pays-Bas. La présente version, adaptée et complétée (la France accueille en son territoire Disneyland Paris), explore comment de manière diffuse mais bien concrète, l’entreprise lucrative façonne aussi le bâti, de l’habitat à la ville.
Tout commence dans l’enfance, évidemment, avec cette image de la rue principale de Marceline, Missouri, à jamais gravée dans la mémoire de Walt Elias Disney (1901-1966). Et la Main Street de devenir l’oppidum du Magic Kingdom avec son système de circulation radiale. Pour qui fréquente les parcs d’attractions de la compagnie, la silhouette du château constitue l’horizon ultime. Or, qu’il soit de Cendrillon ou de la Belle au bois dormant, il n’est que fusion, empruntant aux gravures des Très Riches Heures du duc de Berry (1410-1411), au château de Pierrefonds, restauré dans un style néo-gothique par Viollet-le-Duc pour Napoléon III, et au château de Neuschwanstein, folie de Louis II de Bavière.
Impossible de réduire Disney à un vulgaire importateur de clichés
Ainsi en fut-il toute la vie du créateur, disséminant ses souvenirs du Vieux Continent, depuis la Première Guerre mondiale, alors ambulancier pour la Croix-Rouge, jusqu’à ses multiples voyages. Pêle-mêle, les Jardins de Tivoli, à Copenhague, au Danemark, le premier parc à thème créé au monde ; les arts déco et particulièrement le style rococo ; le mont Cervin, en Suisse, reproduit en 1959 pour Matterhorn Bobsleds, montagnes russes du Disneyland d’Anaheim, Californie…
Toutefois, impossible de réduire Disney à un vulgaire importateur de clichés de la vieille Europe à usage du Pays de la Liberté. Homme de son temps, mais aussi du futur, il commande à Kem Weber, designer allemand, chantre du style paquebot, de concevoir, en 1937, ses studios de Burbank, Californie.
« L’endroit le plus joyeux du monde »
Inauguré le 17 juillet 1955, Disneyland Park — « L’endroit le plus joyeux du monde » (Happiest Place on Earth) —, à Anaheim, Californie, puise chez l’urbaniste autrichien Victor Gruen, « le père du centre commercial », comme dans l’ouvrage Garden Cities of Tomorrow de son homologue anglais Ebenezer Howard.
De la Maison du futur de Monsanto, utopie du tout plastique, au rêve avorté d’EPCOT (Experimental Prototype Community of Tomorrow), du très ingénieux Go Away Green à l’illusion Castaway Cay, ancienne plaque tournante des narcotrafiquants devenue resort, en passant par le néo-classique/néo-vernaculaire de Val d’Europe qui chasse les propriétaires terriens, à commencer par les paysans, sans oublier les mythiques clubs Mickey, c’est un passionnant précis d’expansion aux multiples couches de lecture.
Maître du syncrétisme, roi de l’illusion, gourou du simulacre, Walt Disney a su imposer une vision unique de paradis totalement factices, s’appuyant sur un carnet d’inspirations européennes et domestiques, mais également basée sur des principes d’entrepreneur, héritier du taylorisme, des phalanstères, d’une nature fantasmée mais toujours domestiquée au service du divertissement à destination du plus grand nombre.
Marc A. Bertin
Informations pratiques
L’architecture des réalités mises en scène (re)construire Disney,
jusqu’au dimanche 6 octobre,
grande galerie, arc en rêve,
Bordeaux (33)