Musicienne, vidéaste, photographe, plasticienne, Nina Laisné explore avec virtuosité, dans cette exposition à voir à l’artothèque de Pessac, la pluralité des définitions et des résonances du mot « spectre ».

Qu’est-ce qui a décidé de votre démarche artistique ? Pouvez-vous revenir sur ce qui a constitué votre parcours : formations, influences, références, rencontres ?

Il me semble qu’avant toute chose, c’est le fait d’avoir développé plusieurs pratiques en parallèle : tout d’abord celle de la musique – des musiques sud-américaines et anciennes –, puis la fabrication d’images. Et c’est dans le croisement entre ces pratiques que j’ai trouvé les fondations de mon travail. Bien sûr, au fil de ces dix dernières années, il y a eu des rencontres essentielles qui m’ont permis de révéler des nouvelles dimensions de mon travail. Je pense par exemple au théorbiste Daniel Zapico en qui j’ai trouvé un vrai complice pour prolonger mon écriture musicale, ou le chorégraphe François Chaignaud qui a immédiatement éveillé en moi le désir de forme scénique. Plus le temps passe, plus j’aime travailler sur des pièces pour lesquelles je suis amenée à collaborer avec de nombreux artistes et artisans d’horizons divers : chœurs polyphoniques, peintres, horlogers, luthiers, etc. J’aime que la forme finale soit le fruit de ces forces conjuguées.

Vous intervenez dans plusieurs pratiques : photographie, installation, musique, cinéma, mise en scène. Vous passez de l’une à l’autre, les croisez, les confrontez. Mais quel est le fil conducteur ? Où souhaitez-vous nous amener ?

J’ai une pratique transdisciplinaire dans laquelle les médiums se croisent, se distordent avec une grande porosité. Parmi eux, celui qui fait probablement office de fil conducteur, c’est mon rapport à la musique. Toutes mes pièces y trouvent leurs sources, que ce soit dans un document d’archives, une partition ancienne ou une tradition orale. Et il est impossible pour moi de laisser ces documents aux mains d’esprits conservateurs. C’est pourquoi je trouve essentiel de les regarder depuis notre monde présent et de comprendre en quoi ils résonnent avec notre époque. 

Greffes, mélanges des temps, des identités, des formes. L’hybridité est-elle une clé pour pénétrer dans votre œuvre ? 

En effet, elle est au cœur de mon travail ; cela rejoint l’idée de croisement dont nous venons de parler. Mes films jouent avec les codes, et pourtant échappent sans cesse aux catégories. L’Air des infortunés en est un bon exemple : il débute comme une reconstitution historique, puis bifurque vers un langage proche de l’opéra, avant d’ouvrir une brèche dans le réel. Le terme « hybride » peut aussi désigner une métamorphose partielle, une figure qui pourrait sembler familière mais dont les traits ne sont plus exactement ceux qu’on lui connaissait. En ce sens, oui, l’ensemble de mon travail est imprégné de cet entre-deux.

Chez vous, la narration est toujours présente mais ouverte, fragmentée. Que convoque-t-elle ? 

Je crois que cela vient essentiellement du fait que je n’ai pas recours aux codes classiques de la narration. Par exemple, je n’ai jamais utilisé de dialogues. Ils sont remplacés par l’usage du chant, et, bien souvent, les paroles interprétées n’ont pas de liens directs avec ce que l’on voit dans les images, mais elles viennent teinter émotionnellement la scène. La superposition d’une narration chantée sur une narration visuelle permet qu’elles s’éclairent, s’enrichissent mutuellement, et cela démultiplie aussi les interprétations. Ces récits fragmentés résonneront différemment en chacun des visiteurs. Imposer une vision unique, voire unilatérale, serait à mes yeux très problématique. Comme ça l’est tout autant si l’on regarde l’Histoire de nos pays à travers un seul prisme.

Votre exposition s’intitule « Spectres ». À quoi faut-il s’attendre ?

Peut-être la rencontre avec des figures qui ne sont pas tout à fait ancrées dans le réel, ou qui tentent d’y résister et choisissent leur propre réalité. Mais l’idée de « spectres », c’est aussi l’ombre de souvenirs persistants issus de notre Histoire collective. 

Propos recueillis par Didier Arnaudet

Informations pratiques

« Spectres », Nina Laisné,
jusqu’au samedi 31 août,
Les arts au mur – artothèque,
Pessac (33)

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