Cinéma, 1% artistique, FRAC à Limoges ... Entretien à la mi-mandat avec la vice-présidente en charge de la culture, des langues et cultures régionales, et du patrimoine pour la région Nouvelle-Aquitaine à l’heure des coupes budgétaires au ministère de la Culture.
Vice-présidente en charge de la culture, des langues et cultures régionales, et du patrimoine, secrétaire nationale en charge de la culture pour le Parti Socialiste, Charline Claveau qui a grandi dans le village de Bruges, en vallée d’Ossau, et vit désormais dans les Landes, incarne le visage de la Région Nouvelle-Aquitaine tant dans le soutien aux pratiques professionnelles qu’au développement des industries culturelles et créatives.
Il était temps de revenir, à mi-mandat, sur les actions menées par la collectivité alors que le budget de la Rue de Valois se voit amputé de 204,3 M€, et que 70 % de l’effort demandé devrait être pris dans la réserve de précaution, condamnant de facto les Régions à trouver à leur tour d’impossibles ressources.
En janvier, à peine nommée rue de Valois, Madame Rachida Dati, lors d’un déplacement à Nontron, en Dordogne, annonçait le « Printemps de la ruralité ». Quel regard portez-vous sur cette initiative ?
Je suis contente que l’État se penche sur la ruralité, une préoccupation historique en Nouvelle-Aquitaine, qui, je le rappelle, est la première région rurale de France métropolitaine. Le protocole, lui, m’intrigue. Il s’agit d’une collecte d’informations via une plateforme numérique sous forme de questionnaire destiné aux élus communaux, excluant les élus départementaux et régionaux. Heureusement par l’intermédiaire de la Direction régionale des Affaires culturelles (DRAC), nous pouvons peser quelque peu au débat.
Je déplore aussi une certaine forme de précipitation, néanmoins, nous espérons des résultats au-delà de l’effet d’annonce. Depuis deux ans, la région Nouvelle-Aquitaine, en collaboration avec la Délégation à l’aménagement du territoire et à l’action régionale (DATAR), a lancé un chantier pour appréhender les politiques culturelles à l’échelle intercommunale. Nous avons besoin de comprendre ces dynamiques. Nous en tirons des outils cartographiques mais aussi des données nous permettant d’identifier des politiques adaptées en fonction des territoires.
Il faut également prendre en compte la vitalité du tissu associatif, par exemple dans un département comme la Creuse où son offre est dense. Au bout du compte, il n’y a pas de ruralité, mais des ruralités. Donc, il faut agir de manière plus fine avec des indicateurs socio-économiques, qui sont souvent surprenants pour nous lorsque nous les exploitons. Je fais la différence entre le ministère de la Culture et l’action menée sur le terrain par la DRAC
Vous avez déclaré : « Terre d’accueil historique pour les tournages de films, la région Nouvelle-Aquitaine est devenue un des acteurs majeurs du secteur du cinéma et de l’audiovisuel en proposant une stratégie éditoriale visant à solidariser les questions de création production et diffusion. » Cette dynamique peut-elle réellement mettre un terme au modèle jacobin historique du cinéma ? En outre, qu’est-ce que cela rapporte concrètement à la région ?
Les bénéfices sont multiples. Culturellement avant tout pour les Néo-Aquitains et les spectateurs. Nous soutenons la diversité face à la standardisation des industries culturelles. Notre ligne se fixe sur l’indépendance, l’exigence et la diversité. Nous résistons à l’uniformisation à l’œuvre proposée par les plateformes ; on se bat contre la culture Ikea®.
Notre politique est régionale et notre engagement très important. L’outil le plus important, d’un point de vue budgétaire,, du Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC), c’est un crédit d’impôt entre 500 et 700 millions d’euros. Or, l’angle mort, c’est la question de cet outil, c’est l’aménagement culturel du territoire, d’un cinéma hors d’Île-de-France. Cette filière demeure une industrie parisienne. Le frein à l’installation et au déploiement en région, c’est aussi le manque de réseau. Je suis persuadée que le contexte dans lequel on écrit un film offre un regard différent selon que vous êtes à Paris ou en région.
Quand nous supportons une production, nous demandons 150% de retour sur le territoire, un retour économique direct, avec cette question : quid de l’euro dépensé ? Pour nous, ce doit avant tout être de l’emploi local, faire travailler des techniciens par exemple, mais quel niveau de techniciens employés ? Nous avons des estimations de 1 à 7 voire de 1 à 12 € selon les retours. Quoi qu’il en soit, le territoire en sort gagnant.
Dans le cadre du soutien à la création cinématographique et audiovisuelle, la Région Nouvelle-Aquitaine porte le programme « Talents en cours ». De quoi s’agit-il ?
Un dispositif mis en place en partenariat avec le CNC ; partenaire historique de la Région Nouvelle-Aquitaine depuis 1983. Il cible des jeunes dépourvus de formation dans le cinéma mais porteurs de projets. Un accompagnement de l’écriture d’un court métrage jusqu’à sa production, encadré par 4 festivals régionaux : le Festival du film de Contis ; le Festival international du film indépendant de Bordeaux ; le Festival du cinéma de Brive – Rencontres internationales du moyen métrage ; et le Poitiers Film Festival. Une espèce de tremplin mais sur lequel nous pensons surtout à l’après.
L’aide aux cinémas indépendants de Nouvelle-Aquitaine passe par la création de postes de médiateurs. Quel est l’objectif de cette mesure ?
Nous nous ancrons sur la réalité du territoire néo-aquitain qui possède le maillage de cinémas indépendants le plus dense de France, si ce n’est le meilleur. Nous avons le privilège de compter beaucoup de salles, y compris en milieu rural. Or, l’enjeu demeure celui de la fréquentation. L’objectif avoué est la diversification du public. La question de la relance de la fréquentation du public s’est posée après la pandémie, si le public dit « art et essai » avait mieux résisté, le grand public, lui, avait quelque peu déserté les salles.
Prioritairement, ces médiateurs travaillent sur le jeune public et la diversité des publics. Ils interviennent parfois sur 2 ou 3 salles, en étroite collaboration avec les programmateurs. Il s’agit de 30 postes en Nouvelle-Aquitaine. Le financement de ce dispositif se répartit ainsi : 50% par la Région Nouvelle-Aquitaine, 25% par le CNC, 25% par les employeurs. Qui plus est, certains Départements se sont engager dans cette dynamique.
La Nouvelle-Aquitaine possède une cinémathèque, basée à Limoges, qui collecte le patrimoine régional cinématographique, or elle demeure méconnue du grand public. Pourquoi ?
Par l’intermédiaire de son site, tout le monde peut consulter le fonds de la cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine. Nous étudions un projet de transformation et de réhabilitation de l’ancienne usine Jidé, à Limoges, pour en faire un pôle culturel axé sur la création et l’image, et, dans lequel la cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine, qui a besoin de salles de projection et d’espaces de médiation, devrait s’intégrer.
Pourrions-nous aborder votre engament en faveur du 1% artistique, notamment au collège et lycée du Barp, en Gironde ?
Avant toute chose, il s’agit d’une obligation légale et la Région Nouvelle-Aquitaine la respecte depuis l’origine. Cela étant, il y a des politiques plus ou moins volontaristes, y compris dans le cadre de la rénovation des œuvres livrées dans le cadre du 1% artistique. Cette année 2024, il y aura 2 actions consacrées au 1% artistique : au Barp et à Créon, d’un montant de 300000 € chacune.
Des actions essentielles pour l’économie des artistes ; il s’agit d’un soutien par la commande publique. Commande régie par un marché public ouvert, qui passe après réception des dossiers devant un comité pour sélection. L’enveloppe est conséquente au Barp, c’est pourquoi nous souhaitions la destiner à plusieurs artistes sous forme de partage. En outre, nous innovons dans le processus avec un travail de création en lien avec les futurs usagers — collégiens, lycéens et enseignants.
Il s’agit d’un protocole tout à fait expérimental avec un groupement d’artistes néo-aquitains porté par deux associations néo-aquitaines, Zébra3 et Pointdefuite. Une réelle satisfaction et une manière de prendre le pouls de la filière des arts visuels. Enfin, au titre de nos préoccupations, n’oublions pas la pérennité de la commande. Comment le 1% artistique vieillit-il ? Nous avons mis des structures dédiées dans la boucle pour continuer le travail de médiation et lancer un inventaire pour dresser l’état des lieux afin de se livrer, si besoin, à la rénovation.
2024, pour la filière des arts visuels, ce sont 2 nouvelles directions au Frac Nouvelle-Aquitaine MÉCA et au FRAC Poitou-Charentes ainsi que la livraison, tant espérée, du FRAC artothèque Nouvelle-Aquitaine à Limoges. Êtes-vous impatiente ?
Ce chantier s’est révélé fort complexe en raison de la rénovation du lieu. Situé dans le cœur historique de la ville, il a rendu l’organisation et la logistique plus difficiles encore. Sans compter les contrecoups de la pandémie, puis de l’inflation.
Autant de retard, autant de surcoûts ayant déjoué les délais de livraison. Toutefois, nous souhaitons ardemment une ouverture cet automne car nous allons entrer dans la dernière phase, celle de la partie numérique qui occupera la façade et la boîte noire. Il nous faut un chantier propre, dénué de la moindre poussière, pour installer ces outils numériques.
Quoi qu’il en soit, l’équipe a vraiment hâte d’entrer dans ses nouveaux murs sachant qu’elle a dû faire preuve de patience et d’ingéniosité en termes de continuité de la programmation, résolument hors les murs. Je salue le travail de Catherine Texier, sa directrice, et de toute son équipe.
Concernant le FRAC Angoulême, c’est notre futur chantier. Il s’agit du plus petit FRAC de France en termes de budget ! Quel est son modèle économique ? Pour l’heure, j’ai une confiance absolue en sa nouvelle directrice, Irene Aristizábal, qui se montre très enthousiaste, très pragmatique, et particulièrement rompue aux questions budgétaires. Très en pointe sur les notions essentielles de programmation, je suis certaine qu’elle va rehausser la fréquentation du site.
2024, c’est aussi les 5 ans de la Maison de l’économie créative et de la culture en Nouvelle-Aquitaine (MÉCA). Quel bilan peut-on en tirer ?
Celle d’une réussite pour les professionnels ! C’est une centralité qui n’est pas centralisatrice, à l’image du travail mené par l’équipe de l’Office artistique de la région Nouvelle-Aquitaine (OARA) qui tisse des liens entre la MÉCA et les territoires. Je n’entends plus la petite musique dépréciative sur le « gros objet culturel posé à Bordeaux ».
De plus, c’est un outil encore récent. Au sujet du FRAC Nouvelle-Aquitaine MÉCA, sa fréquentation pâtit encore de l’aménagement urbain environnant comme du manque de signalétique, mais ses horaires d’ouverture ont été réaménagés. À l’occasion de cet anniversaire, pas d’événement particulier, mais nous lançons une série de podcasts thématiques — la « création en train de se faire » ; les métiers ; les publics/usagers de la MÉCA ; la diffusion sur le territoire — consacrés aux coulisses de la MÉCA afin d’expliquer son fonctionnement au grand public.
Il est souvent question de « décarboner la culture » et le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine suit depuis 2019 la feuille de route Néo Terra en faveur de la transition écologique. Là encore, sur le terrain, au quotidien, que fait-on et comment le fait-on ?
Nous avons voté une feuille de route de transition écologique pour et par la culture. Je ne suis pas une « techno-solutionniste » plutôt une pragmatique et pense que l’offre culturelle doit participer à cette évolution des mentalités plus que nécessaire. Nous observons un déficit dans l’appropriation de cette notion comme dans la connaissance de la décarbonation.
Donc, nous devons identifier les soucis et savoir où la Région peut se positionner. Plus de clarté et de compétences partagées. Concrètement, les impacts « carbone » de la culture sont de 3 natures : l’énergie, l’alimentation et la mobilité. Sans omettre les conséquences du changement climatique. En réalité, la question de la transition est vécue comme une contrainte alors qu’en réalité, on ignore ses bénéfices. Notre vision est encore trop limitée.
En Nouvelle-Aquitaine, nous avons des réseaux d’acteurs très engagés sur cette thématique. Il y a encore trop d’a priori, hélas, sur l’écoconception. Or, quelle production zéro achat a prouvé le contraire ? Le Requiem de Mozart mis en scène par Stéphane Brauschweig à l’Opéra de Bordeaux. Poser la question de la réutilisation, rien que d’un point de vue économique, est pourtant fondamental. Le chemin est encore long.
Au sujet de la filière musicale, il y a le soutien par exemple au réseau des indépendants de la musique (RIM) mais aussi le volet de la subvention à l’adresse des festivals. Or, le modèle de ces derniers, surtout dans le cadre des musiques actuelles, arrive à bout de souffle. Peut-on encore les porter à bout de bras surtout quand l’effort budgétaire est intenable, de mémoire cette année le Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine doit trouver 150 M€ pour boucler son budget de fonctionnement ?
La vraie question est : qui finance la politique culturelle ? Dans le cadre spécifique d’un festival, c’est avant tout un modèle communal. Je note que la dynamique concernant les festivals est toujours aussi vive dans la région. Le festival est un objet très investi. À l’échelle communale, on parle plus souvent de festivals que de diffusion à l’année ou d’équipes artistiques.
Sur 850 festivals en Nouvelle-Aquitaine, 350 sont financés par le Conseil régional avec une enveloppe dédiée de 6,3 M€ dans un contexte de contrainte budgétaire. C’est un paysage qui évolue, avec de nouvelles stratégies à l’œuvre, notamment une activité à l’année avec une véritable action sur le territoire. Voilà qui m’intéresse. Nous menons une réflexion sur l’intervention ou la non-intervention. Et effectivement, pour la deuxième année, notre budget à la culture est amputé de 1% soit 500 000 €. Cela nous oblige à travailler à l’aménagement du territoire pour opérer des choix équitables.
Propos recueillis par Marc A. Bertin