En célébrant sur ses cimaises, les 77 ans du mythique journal de Tintin et l’œuvre du ponte de la BD historique François Bourgeon, le Musée de la bande dessinée d’Angoulême rend hommage à deux piliers qui ont profondément marqué le paysage éditorial du 9e art franco-belge.
Le plat pays investit le musée de la bande dessinée à Angoulême avec deux expositions. Honneur au journal Tintin qui a permis à Hergé de s’offrir une nouvelle virginité Apparu au sortir de la guerre grâce au flair de Raymond Leblanc, résistant de la première heure, désireux de surfer sur la popularité intacte du reporter à la houppe. Le succès immédiatement au rendez-vous ne cessera de grandir pour l’hebdomadaire passant d’un tirage de 60 000 à 600 000 exemplaires malgré le désinvestissement croissant d’Hergé dans la vie du périodique.
Mais peu importe, car au côté de l’ombre de Tintin, les nouveaux héros — Blake et Mortimer, Alix, Corentin — passionnent tout autant voire plus la jeunesse avant que ne déboule une deuxième vague au tournant des années 1950/1960 avec Michel Vaillant, Dan Cooper, Ric Hochet ou Chlorophylle.
Le musée de la BD fête les 77 ans du Journal Tintin
Plus tard, une nouvelle génération de créateurs au style réaliste pose son empreinte à l’instar d’Hermann, Derib, Cosey et même Hugo Pratt qui livra quelques chapitres de son Corto Maltese. En cela, l’arrivée de l’hyper-prolifique scénariste Greg aux manettes dans les années 1970 apporte un coup de jeune salutaire au journal qui doit faire face à la concurrence du Pilote de Goscinny tout en se distinguant de l’éternel rival, Le Journal Spirou.
Malgré l’envol de Thorgal et des prises de risques avec l’inclassable Rork de Andreas, les années 1980 seront plus compliquées et s’achèveront précipitamment sur un sabordage du titre en 1988. À l’occasion des septante-sept ans symboliques du journal, le Lombard, éditeur historique, a composé un numéro spécial où des dessineux d’aujourd’hui ont pu piocher librement dans l’immense fonds patrimonial de la revue.
Le résultat donne lieu à un télescopage étonnant aux allures de coming out créatif. Ainsi, tandis que Bouzard se coltine l’homme de préhistoire Tounga, Trondheim Blake et Mortimer, Clarke le nébuleux Rork, Grenson le poétique Olivier Rameau, Fabcaro se tourne presque naturellement vers un obscurstrip américain plein d’absurdité, La Tribu terrible.
Une expo en forme d’hommages plus ou moins mordants, tenant aussi d’un jeu de piste tant la re-création se double visiblement pour certains auteurs d’une réelle récréation.
François Bourgeon, maître de la BD historique
Mètre étalon de la bande dessinée historique, François Bourgeon se voit consacrer une exposition à la scénographie assez spectaculaire qui tente de démontrer la spécificité de ce créateur révélé dans les années 1980. Le père des Passagers du vent, saga maritime portée par une figure féminine rebelle et charismatique, qui a ému bien des bédéphiles, a aussi servi de référence écrasante pour toute une frange de bédéastes parmi lesquels certains ont fait les beaux — d’aucuns diront les pires… — jours de la collection Vécu de Glénat.
Au milieu d’une sélection resserrée de planches, l’auteur dépeint son approche créative du médium au cours d’une grande interview vidéo projetée qui aide à saisir sa méthode de travail spécifique qu’il déploie sur ses récits historiques comme futuristes.
S’y révèle un artiste confiné dans un souci du détail documentaire constant et presque maladif, qui peut passer autant par la réalisation de maquettes à échelle (une ville est ainsi exposée) que par l’apprentissage pour le besoin d’un scénario des rudiments d’une langue autochtone ou argotique.
La narration dense prime toujours sur le dessin pour cet autodidacte qui ne se destinait pas à la bande dessinée mais qui puisa dans sa formation de maître verrier une manière bien à lui d’appréhender la page et d’utiliser la couleur.
Entre les outils de travail, les croquis, les extraits de scripts, on pourra voir quelques incongruités comme cette bande de jeunesse dédiée à… Nana Mouskouri qui rejoint ainsi les héroïnes fières et fortes qu’affectionne tant l’auteur, les Isabeau de Marnaye, Mariotte ou Cyan.
Nicolas Trespallé
Informations pratiques
« François Bourgeon et la traversée des mondes »,
jusqu’au dimanche 5 mai,
« Les 77 ans du journal Tintin »,
jusqu’au dimanche 12 mai,
Musée de la bande dessinée, Angoulême (16).