Les éditions de la Cerise fêtent leur vingt ans avec deux nouvelles parutions et une exposition prévue au prochain FIBD d’Angoulême. Entretien avec son fondateur, Guillaume Trouillard.
Publier des livres que personne d’autre ne voudrait éditer, tel est le défi qui s’est lancé Guillaume Trouillard il y a 20 ans en créant les éditions de la Cerise.
Depuis, de pari en pari, l’éditeur-auteur a développé un catalogue ramassé et précieux, dans lequel se sont révélées des signatures singulières venues de tous horizons comme Linnea Sterte, Jeremy Bastian, ou récemment Akira Yamaguchi, artiste nippon aussi génial qu’inclassable. En attendant l’exposition rétrospective au FIBD d’Angoulême en janvier prochain, JUNKPAGE souffle les bougies en compagnie du fondateur certes fatigué, mais heureux.
La Cerise fête ses vingt ans, champagne ?
Ce n’était pas gagné, alors oui, je suis fier du travail accompli. On a même pu fêter ça en début d’année avec le Fauve Révélation à Angoulême pour Une rainette en automne de Linnea Sterte. Toutefois, si je regarde le verre à moitié vide, on n’a jamais été autant en souffrance.
J’ai passé l’année rivé sur la calculette à cause de l’augmentation du prix du papier et de l’énergie. Cela devient de plus en plus difficile économiquement et on est à la merci du moindre basculement. Sans les expos et les ventes directes, on serait en négatif. Je suis toujours bénévole dans la structure, et certains livres commencent seulement à être amortis six ans après leur mise en place !
On ne peut pas faire d’économies d’échelle comme les gros éditeurs et les mises en place sont de plus en plus faibles chez les libraires. À quel moment cela ne sera-t-il plus jouable ? Ma bande dessinée Aquaviva, en tirage limité, disponible uniquement sur les salons, se vend plus que certains livres diffusés. Ce serait plus raisonnable de continuer sur ce modèle artisanal, mais ne plus être en librairie, c’est être aussi invisibilisé. Comment le justifier auprès de nos auteurs ? Je n’ai pas de réponses. Le livre est pris dans une mécanique industrielle, plutôt contre-nature à notre échelle, mais on continue à essayer de forcer le destin.
À vous écouter, la survie de La Cerise tient du miracle.
À fréquenter d’autres sphères artistiques, je suis convaincu que faire de « l’art pour l’art » n’est pas une aberration, mais c’est difficilement viable dans le livre. Mes choix sont inhérents à ma pratique d’auteur, pensés pour ouvrir des opportunités. Quand je fais Welcome, j’ai l’impression d’écrire un livre que je n’aurais pas osé proposer ailleurs, de même quand je sors de la philosophie chinoise en leporello avec Les Quatre détours de Song Jiang !
La maison a toujours fonctionné sur des paris. La mise en avant d’artistes en devenir mais au style très affirmé, un soin extrême apporté à la maquette des livres qui s’adapte à chaque projet. Vous venez juste de sortir une somptueuse monographie d’un artiste japonais surdoué complètement inconnu chez nous, Akira Yamaguchi.
Cela fait cinq ans qu’on y travaille. C’est un grand format avec une forte pagination, des volets dépliants. Je l’ai découvert grâce à Frank Manguin, un compagnon de la Cerise féru de Japon. En quelques images, j’ai su que Yamaguchi faisait partie de la famille. C’est autant un illustrateur, qu’un architecte, qu’un dessinateur de manga. Il fait des installations, il est capable de faire des compositions à l’ancienne, comme de puiser dans la culture geek.
Je ne sais pas si c’est plus facile au Japon, mais il ne se met vraiment aucune barrière. Cela crée un décalage presque grotesque, stupide parfois, cela en devient presque déstabilisant. Dans ces cas-là, il ne faut pas trop réfléchir et sauter dans le vide, car c’est dans la sélection des images et leur agencement que tu fais venir ce travail à toi.
Vous n’avez jamais suivi le courant, les tendances du marché. Pas de BD documentaire en vue ?
Ni de BD en dégradé fluo (rires) ! C’est vrai que je défends une ligne de dessin qui peut paraître académique par certains aspects mais sans perdre de vue l’expérimentation. C’est comme ça que je me suis construit étudiant et que Clafoutis est né autour d’un groupe d’amis des Beaux-Arts.
J’aime ce qui s’inscrit dans la matérialité, dans la tradition de l’histoire de l’art. Cela englobe des choses assez larges historiquement et géographiquement : la peinture du XXe siècle, la miniature persane, les estampes japonaises.
Et comme l’approche graphique conditionne les choix de récit, on s’est retrouvé à publier des œuvres de Carlos Nine ou Pablo Auladell se déroulant à un moment historique qui m’est cher, la conquête de l’Amérique. J’étais jeune adulte quand j’ai découvert Mattotti, Breccia, de Crécy, les livres de Cava et Raùl chez Amok, la Cerise se place dans cet héritage. Aujourd’hui, on pourrait se sentir à contre-courant, mais les modes changent vite…
Propos recueillis par Nicolas Trespallé
Informations pratiques
- Clafoutis n°6,
- Chroniques d’un Japon merveilleux, Akira Yamaguchi