Inconnu à Bordeaux, Yoann Lavable a pris la tête du Glob Théâtre le 1er septembre, après une carrière d’administrateur et de directeur de théâtre en région parisienne. Ça valait bien des présentations.

Dans les cartons, plutôt qu’à Avignon… Mi-juillet, lorsqu’on joint Yoann Lavabre au téléphone, il est en plein déménagement à l’heure où toute la profession arpente le festival d’Avignon. Changement de vie oblige : à 50 ans, après une grosse décennie à la tête de la Ferme de Bel Ébat, théâtre de Guyancourt (Yvelines), il se délocalise avec femme et enfants loin de la région parisienne, où il a toujours vécu ou presque, pour Bordeaux, ville qu’il admet ne connaître que très « superficiellement ».

Yoann-Lavabre-Brdeaux-Glob-théâtre

Depuis le 1er septembre, il est à la tête du Glob Théâtre, cette ancienne scierie et faïencerie des Chartrons, investie en 1995 par une bande d’artistes, devenue écrin chaleureux du théâtre contemporain, labellisée « scène d’intérêt national art et création ».

Monique Garcia et Bruno Lecomte, qui l’ont dirigé longtemps, laissent derrière eux une organisation en forme de coopérative (une Scop1), une relation tissée au plus proche avec les habitants de Bordeaux Nord et un tout nouvel outil rénové par Christophe Hutin.

Une gouvernance collaborative qui a séduit Yoann Lavabre

L’héritage aurait pu paraître chargé, mais c’est ce qui a séduit Yoann Lavabre, pas plus effrayé que ça par ce saut dans l’inconnu. Quant à la gouvernance collaborative, qui permet aux salariés de prendre part aux décisions (dont celle de son recrutement !), « elle a été un élément déterminant dans ma motivation à postuler. J’ai travaillé en théâtre associatif, puis en tant que fonctionnaire territorial. J’ai le sentiment que, finalement, au sein de toutes ces structures, les décisions se prenaient en dehors des équipes qui y travaillaient au quotidien. Au Glob, cette Scop donne la possibilité de mettre en place un projet collaboratif où chaque personne a son mot à dire ».

On le sait, Monique Garcia aurait préféré un artiste pour prendre sa succession. Yoann Lavabre n’en est pas un, c’est lui qui le dit. « Je n’arrive pas du tout en tant qu’artiste, alors il est important que les artistes continuent de se sentir chez eux au Glob. » Et de citer les Bordelais qu’il apprécie déjà : Renaud Cojo, Michel Schweizer, Hamid Ben Mahi, Baptiste Amman ou Solenn Denis ; la plupart soutenus à des époques différentes par le Glob.

Directeur, administrateur mais aussi comédien et auteur

En remontant le parcours de Yoann Lavabre, on s’aperçoit qu’avant ses casquettes de directeur et d’administrateur, il a aussi été comédien et auteur. Le théâtre fait partie de son ADN depuis toujours : enfant lors des spectacles bricolés avec les cousins, au collège « l’expérience fondatrice » d’un atelier de théâtre. « À partir de ce moment-là, j’ai su que j’y travaillerais. C’est aussi pour cette raison que je reste attaché à l’éducation artistique et culturelle dans les établissements scolaires dès le plus jeune âge. »

Plus tard, il suit des études théâtrales à la Sorbonne et une formation de comédien. Mais la vie d’artiste, « instable », l’effraie quelque peu. Il bifurque alors vers un DESS Gestion des projets culturels à Paris Dauphine, et devient administrateur de Christian Benedetti au Théâtre Studio d’Alfortville.

« Une friche industrielle — un ancien hangar à vin — transformée par des artistes qui souhaitaient travailler au plus près des habitants. En cela, ce théâtre ressemble pas mal au Glob », remarque-t-il.

Neuf ans durant, il y traverse l’œuvre d’Edward Bond ou de Sarah Kane, acquiert un penchant certain pour les écritures contemporaines, et prend aussi goût à ce théâtre de proximité. Durant ces années-là, il écrit quelques pièces de théâtre, dont Jusque dans les chiottes Comédie tchétchène (pas toujours très drôle), plusieurs fois primée. À son arrivée à la direction de la Ferme de Bel Ébat, il laisse tomber l’écriture. « J’en ai moins ressenti la nécessité. J’ai en quelque sorte déplacé ma créativité à un autre endroit, celui de composer des saisons. »

« Ils ont su se débrouiller sans moi ! »

La saison 2023-24 du Glob, dans laquelle il va se glisser à son arrivée, a été écrite par Monique Garcia et l’équipe. Un travail collectif qu’il salue : « Ils ont réussi à maintenir et porter le projet sans direction [depuis février 2023, NDLR], de manière collégiale. Quelque part c’est une leçon d’humilité : ils ont su se débrouiller sans moi ! Il est intéressant de s’en souvenir. »

À Guyancourt, il avait l’habitude de programmer des saisons intenses, 40 à 50 spectacles, 120 à 140 représentations toutes disciplines confondues (théâtre, danse, musique et du jeune public, une de ses marottes).

Le Glob ne joue pas vraiment dans la même catégorie : la saison est plus réduite, mais avec cette particularité des séries longues (deux semaines), qu’il souhaite absolument conserver. Cela fait-il peur à Yoann Lavabre de changer d’échelle de projet… et de budget ? Pas vraiment, répond-il. « J’ai cru comprendre que les difficultés de recrutement [un premier tour infructueux l’an dernier, NDLR] avaient fortement incité les tutelles à faire des efforts. C’est important de le saluer, même si le budget du Glob reste à consolider et à développer. »

Le Glob, un théâtre à 200 places

Son projet pour ce théâtre aux 200 places s’inscrit avant tout dans une continuité — « il ne faut pas s’attendre à un grand virage ni à une rupture ». Soit, des résidences artistiques, un soutien à la création contemporaine et aux artistes du territoire, une pluridisciplinarité entre théâtre et danse, une forte implication dans les projets de médiation et d’EAC, des artistes associés (trois sur trois ans).

« il ne faut pas s’attendre à un grand virage ni à une rupture »

Ce qui ne l’empêche pas d’avoir des envies nouvelles : renforcer encore l’adresse au jeune public, développer des projets participatifs, imaginer un rendez-vous théâtre et handicap et pourquoi pas fonder « une classe départ » cette méthodologie imaginée par Bruno Lajara pour embarquer un groupe de jeunes en décrochage dans une formation de sept mois autour d’une création collective.

Enfin, Yoann Lavabre aimerait rendre le Glob plus visible nationalement et l’inscrire dans un réseau de théâtres qui lui semblent proches, tels la Joliette à Marseille ou le Théâtre 600 à Grenoble.

Pour l’heure, le nouveau venu va surtout passer ses premiers mois à découvrir un outil et une équipe — qu’il a déjà croisée trois fois —, et prendre ses marques auprès de partenaires bordelais des arts de la scène, où souffle un vent de renouvellement avec l’arrivée de Paola Gilles à Chahuts ou la nomination de Fanny de Chaillé au TnBA.

Stéphanie Pichon

  1. Société coopérative ouvrière de production

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