Rencontre avec Martin Harriague, chorégraphe qui présente une rencontre fantasmée entre Donald Trump et Greta Thunberg lors de sa nouvelle pièce Of Prophets and Puppets programmé lors de la 33ème édition du festival le temps d’aimer la danse qui se déroule à Biarritz et au Pays Basque en septembre.
Le rideau se lève sur la 33e édition du festival, le temps d’aimer la danse à Biarritz et au Pays basque, sous la houlette de son directeur artistique Thierry Malandain, irréductible humaniste qui voit en la danse, sous toutes ses formes, un objet de salut.
Martin Harriague, l’enfant du pays, revient avec notamment sa nouvelle pièce Of Prophets and Puppets, créée pour le Hessisches Staatsballett, en Allemagne, l’une des meilleures compagnies contemporaines actuelles. Rencontre avec un chorégraphe reconnu, plus que jamais engagé sur les questions de notre temps, à la danse explosive et terrienne.
Après Sirènes, sur la pollution des océans, et Fossile, sur les énergies fossiles, votre nouvelle création Of Prophets and Puppets propose une rencontre entre la militante écologiste suédoise Greta Thunberg, engagée dans la lutte contre le réchauffement climatique, et l’ancien président des États-Unis Donald Trump. Qu’est-ce qui vous a inspiré ?
Juste avant le Covid, le discours de Greta Thunberg aux Nations-Unies How dare you ? « Comment osez-vous ? » avait fait sensation. Trump, clairement climato-sceptique, avait refusé de se rendre au sommet de l’ONU. J’ai eu envie de créer une fausse rencontre. D’autant plus que je suis sensible à l’écologie, mais aussi aux problèmes sociétaux et aux questions politiques.
La pièce s’organise autour d’un talk-show absurde à l’américaine avec un danseur — extraordinaire ! — qui joue le rôle de présentateur. Il interagit avec ses invités, en anglais, avec les vraies voix de Thunberg et de Trump utilisées comme bande-son. Celle de Trump est extrêmement musicale, c’est très intéressant de pouvoir jouer avec ; celle de Thunberg est beaucoup plus plate. J’utilise aussi des musiques de funk extrêmement rapides et virtuoses du groupe The Fearless Flyers. Chaque note, chaque instrument est retranscrit au travers du corps.
Il s’agit d’une création pour 10 danseurs du Hessisches Staatsballett en Allemagne…
Oui, ce sont de super danseurs, versatiles, capables de tout faire, au même niveau que le NDT, avec un répertoire extrêmement riche et des chorégraphes variés et exigeants. Ils sont investis, et ça, c’est formidable ! Je partagerai la soirée avec le chorégraphe Marco Goecke et c’est un honneur.
Pour Thunberg et Trump, vous utilisez des marionnettes, technique qui vous a été littéralement suggérée par un article de presse…
Absolument ! La veille du discours de Thunberg, un article du Sun, journal anglais hyper-conservateur, pose la question : « Est-elle manipulée ? » Il titre vraiment « Est-ce une prophète ou une marionnette ? ».
J’ai trouvé intéressant de traduire cette idée de manipulation par une manipulation physique et visuelle de marionnettes, et non pas juste en imaginant des qualités physiques, même si cela m’intéresse, car je pense par le corps ; je pense par le mouvement. Il me semble qu’il fallait intégrer un élément supplémentaire pour plus de compréhension.
La danse ne se suffit-elle pas à elle-même pour exprimer des idées ?
Traduire des questions sociétales ou politiques au travers d’un simple mouvement, c’est quand même très compliqué ! Il y a des vibrations et des énergies qui passent entre les corps, ça c’est évident ! Entre les corps sur scène, mais aussi entre les corps des artistes et du public.
Traduire des questions sociétales ou politiques au travers d’un simple mouvement, c’est quand même très compliqué !
Souvent, les propositions artistiques dites engagées sont faites de façon abstraite ou par le biais d’un texte de présentation, et on ne comprend rien à ce qui se passe sur scène. Moi, j’ai toujours essayé d’être en lien avec le public. Quand le mouvement seul ne suffit pas pour exprimer ce que je veux dire, j’utilise d’autres formes artistiques. Cela permet aussi de m’enrichir. Pour moi, la danse n’est pas une fin en soi, mais un moyen.
La danse doit-elle être engagée ?
En France, il y a beaucoup de propositions qui sont très égocentriques ou qui ne servent à rien dans notre société. On essaie de suivre des tendances, d’être cool ; on est dans l’instagrammable. Or, à zapper des choses sur les réseaux sociaux à toute allure, on finit par devenir des abrutis. On se déconnecte complètement de la gravité de la situation, du changement climatique, mais aussi de positions politiques dangereuses.
Ce n’est pas du tout le moment de parler de soi. C’est notre responsabilité d’exposer les problématiques sociétales et d’instaurer un questionnement. C’est le rôle de l’artiste de s’engager, à son échelle. Aller au théâtre c’est déjà une action. J’ai envie de croire en ces gens qui y vont, leur redonner espoir, de quoi réfléchir et l’envie d’agir.
En trois ans, vous avez fait 14 productions dont 10 en Allemagne. Comment l’expliquez-vous ?
C’est peut-être en lien avec leur culture de danse/théâtre, là où en France, pendant des années, on était sur du très conceptuel : de la danse qui ne dansait pas. Il s’agissait juste de se foutre à poil et de gesticuler. Maintenant, on en revient.
Il y a eu une génération de danseurs qui est allée à l’étranger et ça a donné une nouvelle dynamique. Et puis, en France, les institutions n’invitent pas, ou très peu, les chorégraphes français qui pourraient ainsi s’exprimer avec un grand effectif. Le Malandain Ballet Biarritz le fait avec moi. J’ai beaucoup de chance.
D’où la création en cours de votre propre compagnie…
Oui, je crée une petite structure afin de pouvoir porter mes projets sur le territoire français tout en continuant mon activité free-lance.
Propos recueillis par Sandrine Chatelier
Informations pratiques
- Le Temps d’Aimer la Danse,
du jeudi 7 au dimanche 17 septembre, Biarritz (64). - Giza, Kukai Dantza & Martin Harriague,
samedi 9 septembre,17h, place Bellevue, Biarritz (64) et 20h, salle Lauga, Bayonne (64). - La Gigabarre de Martin Harriague,
dimanche 10 septembre, 11h, Promenoir de la Grande Plage, Biarritz (64). - gerade NOW !, Martin Harriague & Marco Goecke, Hessisches Staatsballett / Wiesbaden – Darmstadt, vendredi 15 septembre, 19h et 21h, Théâtre du Casino Municipal, Biarritz (64).