À Poitiers, le Confort Moderne accueille avec « Apocalypstick », la première monographie d’ampleur de la plasticienne danoise Lise Haller Baggesen, qui sous des atours acidulés, distille un subtil message féminin et féministe.

Il serait loisible de biaiser en parlant musique pop, du titre de cette exposition, clin d’œil à une chanson de la regrettée Jane Birkin, composée par Serge Gainsbourg pour l’album Ex-fan des sixties (1978), au groupe écossais The Cocteau Twins, cité avec Fotzepolitic, extrait de Heaven or Las Vegas (1990), lettre d’adieu à l’étiquette 4AD.

Pour Lise Haller Baggesen, née à Aarhus, en 1969, et passée notamment par l’AKI à Enschede, aux Pays-Bas, la culture pop revêt une importance fondamentale. Il suffit de scruter attentivement la cartographie de la constellation Mind Map (2016) pour s’apercevoir que Donna Summer y côtoie Asger Jorn.

Une artiste déjà venue au Confort Moderne

Au croisement de la peinture, de l’installation, de l’écriture et de la performance, le travail de la plasticienne, qui, désormais, vit et travaille à Chicago, Illinois, dont elle goûte le dynamisme de la scène artistique, est peu connu en France. Hormis une incursion (déjà en terre poitevine) à la faveur de « Tainted Love », qui marqua, en 2017, la réouverture du Confort Moderne après deux longues années de travaux.

Sous le double commissariat de Kathy Alliou, qui dirige le Département des Œuvres des Beaux-Arts de Paris, et de Yann Chevallier, directeur de l’établissement sur le départ, « Apocalypstick » se déploie tout en froufrous et falbalas en deux parties : WIP [Fotzepolitic*] et Mothernism. Soit le « Supports/Surfaces frivole », selon l’ami Chevallier, et le concept nomade, ludique et théorique.

Work in progress

Processus au long cours – work in progress pour qui de droit —, WIP [Fotzepolitic*] a vu le jour lors de la pandémie comme un retour au travail en atelier, sur le vêtement, mais aussi comme une forme de passe-temps entre mère et fille. D’apparence arte povera mais tout en chatoiement, ce corpus se nourrit d’une collecte aussi amoureuse que minutieuse de robes de bal (prom dress), glanées dans les magasins de l’Armée du Salut et autres solderies, puis minutieusement décousues, peintes, déployées et enfin recomposées.

Studio View of WIP [M/OTHE/R/FLY], 2020 – crédit : Lise Haller Baggesen

Le résultat explose façon palettes chromatiques de rouges à lèvres voire comme d’inédits paysages moirés, où les notions de maquillage le disputent au moulage ; peut-être par la grâce du polyester majoritaire dans cette garde-robe ?

« Ces robes ont toutes une histoire »

Toutefois, la pratique a généré de l’inédit, (re)travaillant peu à peu le cliché. « Je voulais quelque chose de chamarré pour habiller le lieu. Au bout du compte, j’ai déjoué le côté prévisible des nuances si facilement associées à ces tenues, à leur féminité revendiquée. Ces robes ont toutes une histoire, on ne part pas de rien. »

Codicille de ce faux défilé — certaines pièces ondulant mollement grâce à des ventilateurs, d’autres statiques sur leurs cintres —, une série de tableaux, petits formats, utilisant les restes de peintures ayant transfiguré les vêtements, où s’expriment force slogans, « des revendications parfois idiotes mais toujours ouvertes aux interprétations ».

Atmosphère légère et généreuse au Confort Moderne

Plus loin, une impressionnante série de cerfs-volants dévoile une réinterprétation de l’art vernaculaire de la courtepointe. Ces formes, certes géographiques et facilement identifiables, participent à l’atmosphère légère et généreuse nimbant l’entrepôt. Chemin faisant, on réalise que le textile en tant que « pratique rhizomique » fait résonner une multitude de féminismes, y compris dans la dimension environnementale.

Je souhaitais, au contraire, affirmer une singularité, du moins ma particularité de plasticienne femme, mère de deux enfants. 

Lise Haller Baggesen

« Mothernism », camp d’été utérin, entre bibliothèque et discothèque, activé depuis 2013, prend sa source en 2008 lorsque Lise Haller Baggesen arrive à Chicago, reprend ses études, et conduit son projet de thèse.

« Je suivais un programme pluridisciplinaire très théorique, faisant fi du travail en atelier, celui avec les mains, le corps. Je souhaitais, au contraire, affirmer une singularité, du moins ma particularité de plasticienne femme, mère de deux enfants. » Ainsi, en réaction, se façonne un monde en fusion où l’on peut se connecter, créer, réfléchir à la maternité envisagée en « contrepoint d’une vision masculine voire phallique de l’art et de la création ».

« L’humilité n’exclura jamais l’ambition »

Revendication dénuée d’intention hostile, au profit d’une audace détournée, « Mothernism » refuse la culpabilité. « Être “girly” n’est pas quelque chose que l’on sait essentialiser. On peut détourner les codes, le langage formel et rendre hommage aux mouvements féministes car on dialogue, donc, on s’inscrit naturellement dans une histoire de l’art et de la politique. Put Mum in MoMA ! »

« Ce n’est pas une maison de poupées, il faut s’immerger complètement. Utiliser des matériaux a priori kitsch n’empêche pas d’être audacieux. Et l’humilité n’exclura jamais l’ambition… »

Marc A. Bertin

Informations pratiques

« APOCALYPSTICK », Lise Haller Baggesen,
jusqu’au dimanche 27 août,
Le Confort Moderne, Poitiers (86).

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