Un claquement d’éventail, une œillade en coin, et hop !, Don Quichotte s’installe au Grand-Théâtre, du 30 juin au 11 juillet. Le Ballet de l’Opéra de Bordeaux danse la version de José Carlos Martinez, l’actuel directeur de la danse de l’Opéra de Paris : un grand mythe espagnol, chorégraphié par un Espagnol qui revient aux racines de la danse espagnole.
Créé en 1869 par Petipa, Don Quichotte a connu des révisions successives dont celle du maître de ballet Gorski (1900), qui devient rapidement la version de référence de toutes les relectures. En quoi la vôtre se distingue-t-elle ?
J’ai conservé le livret, l’histoire de Basilio et Kitri. Arrivé au village, Don Quichotte croit voir Dulcinée en Kitri, mais finalement, il va l’aider à se libérer de son prétendant, le riche Gamache, et à convoler avec son amoureux. Il fallait donner une nouvelle dynamique au ballet : je l’ai raccourci.
Le 3e acte n’est consacré qu’aux Noces de Gamache, comme dans l’extrait du récit de Cervantes dont est tiré l’argument. J’ai effacé le côté comique de Don Quichotte présent dans la version russe pour le réserver à Gamache. Je redonne au héros un peu plus de profondeur. Don Quichotte est un romantique qui court après ses rêves, sa Dulcinée. Rêve que, quelque part, il réalise, puisque je leur fais danser un pas de deux.
Dans la toute première version de son Don Kikhot à Moscou, Petipa avait intégré beaucoup de danses de caractère apprises lors de son séjour en Espagne. Qu’en est-il de la vôtre ?
Pour cet aspect, je suis revenu à l’original : seguedillas, fandango sont présents, y compris le boléro gommé par la suite. Ma version s’inscrit davantage dans les racines de la danse espagnole. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’avais demandé à une spécialiste, Mayte Chico, de la compagnie Antonio Gades, d’en assurer la chorégraphie. Cela va être un défi pour les danseurs de Bordeaux. Mais je pense que ce sera aussi excitant !
Les toreros dansent d’ailleurs avec de vraies capes !
Oui ! Elles pèsent 2,8 kg ! Cela change complètement le rapport au mouvement ! Cela demande tout un travail pour apprendre à les manipuler, de même que le châle de Kitri et tous les jeux d’éventail : il y a une façon de l’ouvrir et de le fermer particulière aux danseuses espagnoles qui donne beaucoup plus de caractère et de vérité. En revanche, les filles n’ont pas de vraies jupes, car cela reste une production classique. Les costumes doivent être légers.
Noureev a donné beaucoup d’importance au rôle masculin et au corps de ballet. Et vous ?
Dans mon ballet, tout le monde danse. Même Gamache et Sancho ont de petites variations, et Don Quichotte exécute des pas de deux. Toute l’histoire est racontée à travers la danse, et non la pantomime. Une autre particularité, c’est la dynamique du corps de ballet. Il n’encadre pas les solistes. Chacun joue son propre rôle : certains dansent seuls, parfois à deux ou trois.
C’est comme un village dans lequel se déroulent plein d’actions en même temps. Il n’y a pas de danse de corps de ballet à la Petipa où tout le monde est en ligne et fait le même mouvement. Il y a un peu plus de complexité chorégraphique.
Vous vous inscrivez dans la lignée de Gorski qui voulait que la vie continue sur scène…
Tout à fait. D’ailleurs, entre le 2e et le 3e acte, à l’entracte, on joue avec les spectateurs dans la salle. Comme si le spectacle ne s’arrêtait pas. Il s’agit de casser cette frontière matérialisée par la fosse ; de rapprocher danseurs et spectateurs.
Pour la première fois, votre Don Quichotte ne sera pas dansé par la Compagnie nationale d’Espagne…
C’est intéressant de transmettre une pièce à d’autres danseurs. Cela fait vivre la chorégraphie. On voit comment ils se l’approprient. À chaque fois que je remonte un ballet, je m’adapte aux artistes que j’ai, à leur caractère, leur technique, etc. Car les rôles de composition comme Gamache ou Sancho se construisent selon la personnalité de chacun.
Pour Tchaïkovsky Pas de deux, Balanchine a dit : « J’ai une variation pour chaque danseur afin de les mettre en valeur. » Voilà qui est intelligent ! Pourquoi imposer une version créée pour quelqu’un d’autre ? Le danseur va danser moins bien : le spectacle sera moins bien. Il vaut mieux utiliser ce que chacun peut apporter. On va encore faire évoluer le ballet. Ce sera une version nouvelle. C’est aussi bien pour les danseurs car ils ne sont pas de simples exécutants. Et s’ils voient que leurs propositions sont retenues, ils en font de plus en plus et ça enrichit le spectacle.
Si ces ballets sont arrivés jusqu’à nous, c’est qu’ils étaient bien !
José Carlos Martínez
Adapter une telle œuvre après Petipa, Gorski et Noureev n’a-t-il pas été paralysant ?
Non. Pour aller vers l’avenir en danse classique, il faut s’appuyer sur la tradition. Si ces ballets sont arrivés jusqu’à nous, c’est qu’ils étaient bien ! C’est donc une super base avec laquelle travailler. Cela étant, ce qui est difficile, c’est de transformer le ballet, de façon personnelle, et sans en trahir son essence.
Pour moi, Don Quichotte c’est plus facile, car j’ai pratiqué la danse espagnole. Il y a une certaine manière d’exécuter un port de bras… il suffit parfois de changer un détail, et tout prend une autre allure.
Propos recueillis par Sandrine Chatelier
Deux étoiles pour l'ONB ! Unique étoile espagnole de l’Opéra de Paris, puis directeur de la danse depuis le 5 décembre 2022, José Carlos Martínez, a créé sa version de Don Quichotte en 2015, lorsqu’il était à la tête de la Compañía Nacional de Danza de España (2011-2019), riche d’une quarantaine de danseurs. Ce ballet qui mélange si bien virtuosité, comédie et grâce est l’un des plus populaires du répertoire. Il sera aussi l’occasion de voir de nouveau briller la constellation bordelaise réduite à néant depuis l’été dernier, puisque deux étoiles ont été nommées en mai : Riku Ota, premier danseur au sein de la compagnie, et Mathilde Froustey, qui revient dans sa région natale après un début de carrière à l’Opéra de Paris et 10 ans au San Francisco Ballet comme principal. Et c’est de très bon augure !
Informations pratiques
Don Quichotte, chorégraphie de José Carlos Martínez, musique de Ludwig Minkus, Orchestre national Bordeaux Aquitaine sous la direction de David Molard Soriano, avec le Ballet de l’Opéra national de Bordeaux,
du vendredi 30 juin au mardi 11 juillet, 20h, sauf les 2 et 9/07, 15h, relâche les 1er et 8/07,
Grand-Théâtre de Bordeaux, Bordeaux (33).