Depuis vingt ans, les éditions de l’Arbre Vengeur explore les potentialités du merveilleux et débusque le fantastique tapi dans les recoins de la normalité.
À Bordeaux, en bord de Garonne, nous sommes reçus par Nicolas Étienne, responsable artistique des éditions de l’Arbre Vengeur, président de la société, venu des forêts vosgiennes, et David Vincent, responsable littéraire, directeur, proche des forêts landaises.
Les deux animateurs exclusifs se donnent du « cher associé » et pratiquent entre eux, malgré leur sincère décontraction, un vouvoiement systématique, dont on devine qu’il constitue la soupape de sécurité d’un binôme fusionnel.
L’une des particularités de votre maison de littérature, depuis le début, est de faire appel à des illustrateurs pour donner une couleur originale à votre entreprise éditoriale…
Nicolas Étienne : À la manière des entremetteurs, nous suscitons des mariages artistiques. Disons, pour utiliser un mot moins glamour, des « collaborations ». Nous avons la chance d’être à Bordeaux, aussi avons-nous pu commencer avec des gens comme David Prudhomme ou François Ayroles, puis, de fil en aiguille, nous avons rencontré, par exemple, Greg Vezon et Mehdi Beneitez.
Plus rarement, nous sommes sollicités, ou bien nous repérons tel ou tel travail sur Internet. Le contact humain est privilégié, toutefois, et il est vrai qu’il est toujours plus facile d’échanger avec des gens qui ne sont pas loin. D’autres projets naissent d’eux-mêmes, comme la collaboration entre Killoffer et Éric Chevillard.
Votre anniversaire, précisément, est marqué par la publication d’une édition illustrée par Mehdi Beneitez de l’unique roman de l’Écossais Walker Hamilton.
David Vincent : Mehdi, dessinateur et sérigraphe, est un camarade de Pola, la fabrique artistique dont nous sommes un des trois éditeurs résidants avec Cornélius et Les Requins Marteaux ; et il est un lecteur enthousiaste de L’Arbre Vengeur ! Quand nous avons décidé de rééditer Tous les petits animaux, qui a pour thème les animaux morts écrasés, nous avons pensé que ce serait un joli défi que Mehdi en soit l’illustrateur.
Le verbe « rééditer » vient d’être employé. N’est-il pas un mot-clé de votre projet éditorial ?
D.V. : Nous sommes des « éditeurs ré-éditeurs ». Notre travail relève d’une double action : d’un côté, aller chercher des textes contemporains ; d’un autre côté, ce qui représente plus de la moitié de notre catalogue, des livres du patrimoine auxquels nous allons redonner vie. Nous tâchons de ne pas en faire des « vieux textes », en montrant plutôt ce qu’ils ont de contemporain. Nos choix de couverture viennent appuyer cette démarche : nous ne fabriquons pas de « faux vieux livres » !
N’êtes-vous point des amateurs d’une langue française quelque peu surannée ?
D.V. : Nous sommes sensibles au style. Les livres non écrits ne nous intéressent pas. Cependant, le mot « suranné » me dérange toujours. Nous allons ressortir un recueil de Léon Bloy, un auteur vieux d’un siècle, quand même… et nous aimerions beaucoup que des contemporains aient sa modernité.
Les costumes changent mais les bons écrivains produisent une écriture qui survit à leur époque.
David Vincent
Cela doit être plus économique de publier des textes anciens, autrement dit libres de droits ?
N.É. : Ce n’est pas notre principe de départ. Nous ne faisons pas comme certains éditeurs qui regardent tous les ans la liste des auteurs tombant dans le domaine public. L’avantage est que nous n’avons de comptes à rendre à personne. Dans le respect du droit moral. Et les 10% de droits d’auteur que nous économisons, nous les dépensons dans autre chose.
Un public existe-t-il en face de ce projet éditorial ?
D.V. : C’est tout l’enjeu. À nous de transformer un texte du patrimoine en objet littéraire contemporain. Chaque livre a ce que j’appelle son « potentiel imaginaire ». Le cerner est la chose la plus difficile à faire. Cela ressort parfois de l’espoir, ou du fantasme, mais attention : en termes de tirage et de rentabilité, les conséquences sont importantes. Nous publions une vingtaine de titres par an, et nous serions heureux si chaque livre rencontrait mille lecteurs. Ce pari renouvelé à chaque fois fait le charme de notre métier.
« L’insolence, c’est pouvoir dire ce qui n’est pas attendu. »
Nicolas Étienne
Et, à cela, peut-on sans doute ajouter l’appétence que vous cultivez pour l’insolence ?
N.É. : Ce mot n’est plus trop employé de nos jours. À l’école, quand on répondait aux profs, on se faisait traiter d’insolent. Or, si une chose nous agace par-dessus tout, c’est l’esprit de sérieux. Les professionnels de l’édition sont toujours persuadés de leur importance. L’insolence, c’est pouvoir dire ce qui n’est pas attendu. Autre chose que ce qui est convenu et convenable, dans un monde où les libraires sont contraints et les auteurs s’autocensurent. Peut-être est-ce une forme d’orgueil, mais nous ne voulons pas être comme les autres.
Propos recueillis par Guillaume Gwardeath.
Dernière parution
Tous les petits animaux,
Walker Hamilton, traduit de l’anglais (Écosse) par Jean-François Merle,
Illustrations de Mehdi Beneitez.
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