TRENTE TRENTE – Du jeudi 12 janvier au jeudi 2 février, le festival fête ses 20 ans entre Bordeaux, la Rochelle et Boulazac. Ce drôle de nom donnait le timing de formes artistiques – entre trente secondes et trente minutes – souvent peu faciles à programmer sur les scènes. C’est moins vrai aujourd’hui : les trente minutes débordent souvent. Toutefois, l’esprit indiscipliné, les envies de découvertes lors de parcours éclectiques, demeurent. Mise au point avec Jean-Luc Terrade, son créateur, toujours aux manettes.
✍️ Propos recueillis par Stéphanie Pichon
Entretien avec Jean-Luc Terrade, créateur du Festival Trente Trente
Trente Trente en est à sa 20e édition, à Bordeaux et dans la région. Comment l’aventure a-t-elle commencé ?
Il y a eu trois raisons principales à la création de Trente Trente. D’abord, je me suis dit que si je continuais à ne faire que de la mise en scène, ils finiraient par m’éjecter.
«Ils» ?
Les institutions. Donc, il fallait que je propose autre chose. Ce festival offrait un nouveau souffle. Ensuite, je
souhaitais soutenir les formes courtes, qui, il y a vingt ans, n’avaient pas droit de cité sur les scènes. Aujourd’hui, les
choses ont bien changé, les formes courtes trouvent plus leur place dans les théâtres. La troisième raison était que je souhaitais défendre un mélange de disciplines, sans les cloisonner. Aujourd’hui aussi, les choses ont considérablement bougé !
Enfin, et cela fait donc une quatrième raison, j’avais à l’époque un groupe de comédiens que je formais. Je voulais les mettre en situation de créer. La première édition a donc montré une vingtaine de projets qu’ils avaient montés. Cela se passait aux Ateliers de la Manutention, sur quatre à cinq jours.
Trente Trente se plaçait-il dans l’héritage de Sigma ?
(Silence). Je suis arrivé à Bordeaux à la fin de Sigma, où j’ai présenté Sade, en 1993, donc je ne peux pas dire que j’ai vraiment vécu avec ce rendez-vous. J’y ai vu évidemment des choses bien. J’aimais aussi beaucoup le côté lieu de convivialité central, où les gens se retrouvaient, parlaient, et qu’on n’a jamais eu à Trente Trente.
Comment Trente Trente s’est-il ensuite développé ?
Nous avons construit de nouveaux partenariats avec le Glob Théâtre, mais aussi le centre de développement chorégraphique, à Artigues d’abord puis à Bordeaux. Très tôt, j’ai aussi travaillé avec l’Agora à Boulazac, autour d’une programmation cirque. Puis, la région s’est agrandie, et je me suis dit pourquoi pas élargir le rayon : on est alors allé à Pau, Cognac, Limoges. Néanmoins, ces partenariats n’étaient pas forcément faciles à maintenir. Il y a donc eu un retour à Bordeaux, même si le lien avec Boulazac est maintenu et qu’on se rend pour la première fois à La Rochelle, pour un partenariat avec le CCN Mille Plateaux d’Olivia Grandville.
De quelle manière la programmation a-t- elle évolué au fil des ans ?
Très vite, j’ai voyagé pour voir des artistes, de nouvelles choses, avec un intérêt toujours plus fort pour le corps, la danse, la performance. Je me suis épuisé avec les mots il y a longtemps, j’ai eu besoin d’aller voir d’autres formes. Trente Trente a toujours aussi été une programmation entre fidélité et totales découvertes, comme cette année Bastien Capela, avec son installation Fresques, ou Paola Daniele qui propose Épiphanie, une installation performance sur le sang des menstrues. Deux artistes que je ne connais pas.
Fresques de Bastien Capela – Festival Trente Trente 2023 Epiphanie-Paola-Daniele – ©Tommaso Caruso – Festival Trente Trente 2023
Ce festival vous a également ouvert au cirque à travers le partenariat avec Boulazac ?
Oui, alors que je déteste les formes de cirque traditionnelles !! Mais il y a beaucoup d’inventivité dans les formes de cirque contemporain. Cette année on retrouvera Arnaud Saury pour la troisième fois (Dans ma chambre #3) ou Antoine Linsale à qui je donne une carte blanche pour une soirée festive aux Vivres de l’Art et qui performera Poésie du lendemain à Boulazac, lors de la dernière soirée consacrée à cinq artistes circassiens.
Trente Trente aime aussi aller dans des lieux qui ne sont pas forcément des théâtres : Halle des Chartrons, Marché de Lerme, Garage Moderne…
Oui, mais c’est aussi par manque de scènes et théâtres à Bordeaux ! Bien sûr pour certains artistes cela fonctionne très bien, comme le danseur Volmir Cordeiro qui aime ce rapport au public proche. Pour d’autres, jouer à Lerme ou aux Chartrons est plus contraint. Cette année, nous jouons aussi aux Vivres de l’Art, et, pour la première fois, au Garage Moderne.
Au Garage Moderne, il s’agit d’une pièce en audiothéâtre pour quatre spectateurs dans une voiture ! Et vous signez la création avec Karina Ketz.
C’est un projet monté il y a dix ans pour l’audiothéâtre de Karina et Yvan [Blanloeil, ndlr], j’ai eu envie de reprendre ce texte de Jean-Luc Lagarce, Du luxe et de l’impuissance, d’une grande actualité, et le faire dans une voiture, à la manière d’un drive-in. Nous l’avons transformée pour y installer 16 points d’écoute. Et on a pensé aux plaids pour ces 28 minutes passées un peu dans le froid !
Voici une petite forme, et une petite jauge. D’autres performances cultivent ce rapport intime à l’artiste…
Ève Magot propose Le Temps de rien, une expérience de danse de 20 minutes pour une seule personne, dans un dispositif, où les performeurs – trois danseurs à tour de rôle – dansent au-dessus du spectateur, sur une plaque de verre. Cela peut être tendre, érotique, doux, et peut même amener à danser ensemble. On se situe donc dans un rapport très intime. Il y a aussi cette installation sonore, Stylus Dust, de Marc Parazon, pour 15 à 20 personnes qui se retrouvent dans un paysage de platines et de tourne-disques.
Il y a une attention particulière à la voix et au son sur cette édition…
… oui, j’ai invité Loup Uberto qui travaille, dans Racconto artigiano, à partir de chants traditionnels du nord de l’Italie et d’une voix rock. Isabelle Dutoit, clarinettiste et vocaliste, qui a travaillé avec David Chiesa, explore la voix quotidienne dans une performance de cris et de sons. Et Welcome de Joachim Maudet, un artiste que je suis depuis quelque temps, qui propose un trio ventriloque très drôle entre danse, voix et théâtre.
Trente Trente, festival éclaté sur toute la ville et même la région, n’a jamais eu de QG festif. Or, cette année, deux soirées sont proposées…
… j’ai donné carte blanche à Antoine Linsale, avec qui je travaille depuis deux ans, pour une soirée queer aux Vivres de l’Art. Il s’associe à Guillaume Collard et Maison de LA pour une soirée défilé performance où cinq artistes drag et queer proposeront des numéros avec dix autres participants. Antoine nous a aussi proposé une dernière soirée au Wash Bar, pour la clôture. C’est effectivement inédit pour Trente Trente !
Informations pratiques
Trente Trente, 20e édition
Du jeudi 12 janvier au jeudi 2 février
Bordeaux (33), La Rochelle (17), Boulazac (24)