KAE TEMPEST – Figure inclassable du rap anglais, la comète vient enflammer le ciel bordelais le temps d’un soir. Un phénomène rare, donc immanquable.
Effluves de fish and chips mélangés à ceux de weed, échoppes caribéennes aux enseignes fatiguées, briques rouges noircies sous un éternel ciel gris… Personne, dans la scène londonienne actuelle, n’évoque avec autant de clarté la splendeur et la misère des quartiers sud de la capitale anglaise.
Kae Tempest excelle si bien à l’exercice qu’iel a transformé son premier album, Everybody Down, en roman fascinant où dealers et working class heroes se débattent entre amours impossibles, crises existentielles et gentrification (Écoute la ville tomber, 2016). Ce dernier thème est peut-être l’un des plus chers à l’artiste protéiforme (poésie, théâtre, spoken word…) qui a grandi dans un « quartier pourri » de Brockley et capture, avec des titres comme le glaçant Perfect Coffee, l’uniformisation des villes où les Starbucks remplacent une à une les gargotes victimes de la hausse incontrôlable des loyers.
Après une discographie aux titres apocalyptiques (Let Them Eat Chaos, The Book of Traps and Lessons), l’ex-Kate Tempest semble baisser sa garde et faire entrer un peu de lumière sur son dernier album, The Line Is a Curve. La production claustrophobique aux accents electro des fidèles Dan Carey et Rick Rubin laisse place à plus d’instrumentation et quelques bouffées d’air : un duo poignant avec Lianne La Havas sur No Prizes, l’hymne à l’abandon amoureux Don’t You Ever, les influences jazz de Water in the Rain rappelant ses compatriotes Alfa Mist ou Ghostpoet… Précieuses éclaircies propices à des moments de confession, rares chez cet.te artiste qui semble s’être délivré.e d’un poids après avoir annoncé sa non-binarité. Un profil qui détonne dans le rap game britannique et une voix unique, celle de l’ultime représentant.e d’une ville en voie de disparition.
✍️ Benjamin Brunet
Kae Tempest
Samedi 10 décembre, 20h30, Krakatoa, Mérignac