CAMILLE BEAUPLAN – À l’occasion de ses 20 ans, l’artothèque de Pessac offre une carte blanche à cette artiste pour qui la peinture est avant tout un jeu mais profondément sérieux.
✍️ Propos recueillis par Didier Arnaudet
Qu’implique pour vous l’acte de peindre ?
Je peins des moments de ma vie que je documente par des photos. Mais pour devenir une peinture, la photo passe par différentes étapes. Tout d’abord, il faut que la photo soit bien composée, que j’arrive à lire un dialogue entre les deux ou trois éléments qui la composent et les questions que cette confrontation soulève. Le ton doit toujours être sur le fil, entre le tragique et le comique, le pathétique et le gai. Je retouche aussi la photo pour en extraire tous les éléments qui complexifient trop le propos. Il faut évidemment que la peinture apporte quelque chose que je n’arrive pas à faire en photographie. La peinture sert souvent à souligner la dimension critique de la scène, et permet une ouverture vers un ailleurs plus lyrique. Elle est en même temps un outil de séduction et de répulsion. Je joue avec le beau et le moche, la fluidité de l’huile et la raideur de l’acrylique.
Quelles influences revendiquez-vous ?
Je suis passionnée par à peu près tout. Tous les mouvements artistiques m’intéressent et je puise énormément dans l’histoire de l’art. Parfois je vais utiliser une touche naïve, parfois plutôt réaliste, puis un peu de kitsch… Je suis aussi influencée par l’esthétique numérique, la communication et la publicité. Le nudge me fascine aussi. Je regarde aussi en boucle les œuvres filmographiques de Jacques Tati et David Lynch, et je lis et relis Candide ou l’optimisme de Voltaire. J’aime à la fois Chris Korda et David Hockney, Jean Claracq et Bertrand Lavier, Philippe Fangeaux et Amélie Bertrand, Laurent Proux et Oli Epp, Camille Henrot et Wilhelm Sasnal, Katharina Grosse et Alex Katz, Cyprien Gaillard et Marion Verboom.
Comment confrontez-vous votre peinture à la question de l’espace ?
C’est une idée qui est là depuis toujours mais qui a pris sens lors du confinement. Je me suis retrouvée face à des expositions online, on voyait des peintures sur fond blanc, c’était hypertriste et ça mettait le doigt sur un sentiment que j’avais déjà ressenti lorsque je vais voir une exposition dans un white cube, je reste sur ma faim, j’en veux plus. Je n’aime pas ce qu’impose le white cube, c’est oppressant, intimidant, aseptisé,la plupart des gens n’osent pas rentrer et même respirer. En travaillant l’espace et les peintures, je propose quelque chose de plus immersif, une expérience totale, comme lorsqu’on va au supermarché ou à la plage, on entend des bruits, de la musique, il y a des odeurs, des circuits, un sol mou ou dur… Je veux que mon travail remplisse l’espace comme une émotion envahit un corps.
Qu’est-ce que vous entendez par « une expérience du médiocre » ?
Je suis fascinée par tout ce qui est « presque nul ». Il faut arrêter de se voiler la face, on est médiocre. On ne s’entend pas, on ne sait pas vivre ensemble, on s’aime mal, on se fabrique des cases dans lesquelles on n’arrive pas à rentrer, ou alors dans la souffrance.
Ma fascination pour la médiocrité vient aussi certainement du fait que j’ai deux maladies auto-immunes que je dois tenter d’équilibrer tous les jours (et même la nuit) pour avoir un semblant de vie au quotidien. Le problème est qu’on parvient à cet équilibre en sacrifiant tout ce qui fait que la vie est intéressante : il faut avoir un contrôle total sur ce qu’on ingère, sur nos émotions, sur nos actions. La perfection rime pour moi avec ennui. Le sublime me coûte trop cher. J’ai besoin d’imperfection et de mettre en valeur notre perfectibilité. Petite, j’étais amoureuse de Pierre Richard et pas d’Alain Delon.
« Merci de bien vouloir », Camille Beauplan
Du vendredi 25 novembre au dimanche 19 mars 2023
Les arts au mur artothèque, Pessac (33)