MARC PLANUS Depuis qu’il a raccroché les crampons en 2015, l’ex-joueur des Girondins de Bordeaux a embrassé une nouvelle carrière, celle de décorateur d’intérieur. Après 12 ans de tacles glissés et de vie téléguidée par le ballon rond, il a laissé place aux coups de crayons, équerres et voyages dans les pays du design, afin de fortifier son goût et forger son œil. Rencontre avec le défenseur international dans son fief des Chartrons.
Propos recueillis par Thibault Clin
Place du Marché-des-Chartrons, 17h. C’est au beau milieu du quartier cossu du nord de Bordeaux que Marc Planus a fixé le rendez-vous. Il y a 20 ans, l’ancien numéro 27 y a planté son compas afin de dessiner les contours de sa nouvelle vie. Car le tout jeune quadra (depuis mars) a préparé sa «vie d’après» dès ses premiers mois de footballeur professionnel, à 21 ans, en rachetant un vieil immeuble désaffecté, à deux pas. « On l’a transformé en loft, avec piscine au premier étage et le garage au rez-de-chaussée. Une opération kamikaze. » Après avoir tiré un trait sur le foot – « je n’ai pas touché un ballon depuis 5 ans » –, place donc à une nouvelle aventure pour laquelle ce pur Bordelais, qui se décrit pourtant « introverti », est causeur.
L’architecture, la décoration, la création d’ambiances personnelles pour une maison… comment avez-vous été amené à vous intéresser à ces thématiques ?
Mes parents sont artisans. Quand j’étais gamin, mon père disposait d’une grande table à dessin d’architecte, en plein milieu de notre salon. Je le voyais dessiner ses projets d’aménagement intérieur. Je les accompagnais également sur les salons, en étant très vite amené dans le vif du sujet. Et j’ai toujours vécu dans des environnements qu’ils ont eux-mêmes créés de leurs propres mains.
Dès 21 ans donc, vous vous lancez avec un projet d’envergure.
Ce projet d’immeuble aux Chartrons, c’était un peu fou. Quelque chose de démentiel pour le jeune homme que j’étais. Durant les deux ans et demi que le chantier a pris, je n’ai pas toujours bien dormi… Mais une fois que cela a été terminé, je me suis finalement vite ennuyé. Je voulais découvrir de nouveaux univers, penser des lieux par moi-même, commettre des erreurs, les corriger… Ce que j’ai compris, c’est que j’avais besoin d’exercer
« Le foot m’a ouvert des portes, certainement,mais il m’en a fermé aussi. »
un métier qui me passionne, pas par défaut. Après la fin de ma carrière de joueur pro, j’ai lancé ma société (Mjimmoinvestissement) avec un ami d’enfance qui m’apporte son énorme force de travail. Je dois faire passer mes plans par un architecte, notamment pour respecter la législation, mais j’impose ma patte. On crée des maisons d’habitation, clé en main entre le bassin d’Arcachon et l’agglomération bordelaise. Le client n’a plus qu’à y amener son canapé et son lit.
Quelle est justement « la patte » Marc Planus ?
Je suis un garçon assez discret, introverti. Ça se retrouve dans ma décoration. J’essaye d’éliminer l’ostentatoire,
le clinquant. Celui qui correspond à un Federer, un Zidane ou un Jordan dans sa discipline, selon moi, c’est Christian Liaigre (décorateur d’intérieur français, décédé en 2020). J’ai découvert son univers en voyageant, à Paris, New York ou Saint-Barthélemy. Pour moi, il est l’ambassadeur le plus élégant du luxe français. Je l’ai croisé dans des salons, sans l’avoir jamais abordé. Je le regrette. S’il y a bien une ligne que je souhaite suivre, c’est la sienne. Il dépasse les époques par son minimalisme.
Les matières qui me plaisent, ce sont le bois, la pierre, le verre, voire le marbre avec lequel l’architecte Joseph Dirand m’a réconcilié par son usage raffiné. Récemment, j’ai associé un plancher brut avec des murs en granit. J’aime aussi le laiton, le métal un peu rouillé. Je pense de toute façon que la matière est plus forte que n’importe quelle décoration.
Comment vous êtes-vous formé, alors qu’une vie de footballeur peut être particulièrement prenante ?
Dès que j’ai raccroché, je me suis mis à beaucoup voyager. Durant ma carrière, je faisais le salon Maison & Objet de Paris ; des allers-retours dans la journée le lundi, qui était notre jour de repos. Mais dès que j’ai pu faire le salon du meuble de Milan, je m’y suis rendu chaque année.
L’Italie, c’est la référence. Bien que mon attirance soit allée surtout vers le courant belge. Leur travail du chêne, des couleurs sombres m’ont séduit, alors même qu’ils n’ont pas une grande luminosité là-bas. J’y ai rencontré beaucoup de gens, ça m’a fait gagner du temps afin de déterminer le style que j’aimerais imprimer. Qu’on le veuille ou non, rien ne remplace les voyages. À Bordeaux, j’ai rencontré le designer Emmanuel Gallina. Une superbe rencontre aussi. Il m’a ouvert des portes tout en parlant de son métier avec des mots simples. Un de mes intérieurs est récemment passé dans un livre et dans un hors-série d’Elle décoration. C’était une petite récompense, j’en suis très fier.
Décorateur d’intérieur, ce n’est pas simplement choisir des poignées ou des tables…
Mon idée de la chose est presque d’imposer un style de vie à la personne qui souhaite acheter la maison que j’aménage. J’aime la théâtralité d’une pièce, plutôt que l’aspect purement pratique : des plans de table avec banquette intégrée contre un mur, manger plutôt sur un îlot central, faire d’une cuisine le centre d’une maison, imposer la présence d’une cheminée… j’essaye de faire les choses à mon niveau, mais avec ma foi.
Quels endroits, conçus par des créateurs, vous ont récemment conquis ?
Il y a l’hôtel Haïtza, près de la dune du Pyla (rouvert en 2016), aménagé par Philippe Starck. Il me procure une
émotion particulière. Ou encore La Co(o)rniche, du même Starck. Vous y allez un dimanche pluvieux : les poêles sont allumés, la lumière tamisée, vous n’avez même pas besoin d’y apprécier le panorama. Vous y êtes presque mieux que chez vous. Là est le génie. J’ai aussi visité son hôtel Delano à Miami. Pourtant, je ne suis pas fan de la philosophie de vie de cette ville. Mais ces rideaux de 6 mètres de haut à l’entrée de la réception, toujours en mouvement grâce au vent du front de mer… C’est mythique et unique.
Comment s’est effectué le « transfert » entre le monde du football et celui, tout autre, de l’architecture et du design ?
Le foot m’a ouvert des portes, certainement, mais il m’en a fermés aussi. Et il existe bien sûr des préjugés. J’ai pu rencontrer des architectes, certains formés par Liaigre notamment, et ils ont été souvent surpris. Ils attendent de vérifier mes références et mon discours pour que la discussion prenne vraiment. J’ai ainsi dû faire irruption dans le monde de la décoration à patte de velours, sinon on pouvait m’attendre avec une hache ! Il a fallu prouver.
Est-ce le type d’univers dont on ne parle pas dans un vestiaire ?
Il est clair que ce ne sont pas des goûts très partagés dans le sport… Le monde du foot brasse un univers social énorme, c’est ce qui en fait sa beauté. C’est le sport le plus accessible matériellement et il ne faut pas grand-chose pour y jouer tout jeune. Beaucoup de joueurs deviennent de nouveaux riches sans références culturelles. Moi-même, il est clair que je n’aurais pu exercer ce métier à ce rythme sans le football. Mais j’ai aussi eu la chance que mes parents m’ouvrent l’esprit. Durant toute ma carrière, je n’ai pu en parler qu’avec un coéquipier uniquement : David Bellion [Girondins de 2007 à 2014, NDLR]. Il m’a fait rencontrer des gens car c’est un passionné d’art. Sinon, étant assez introverti, solitaire, je me sentais assez seul. Un de mes anciens coéquipiers, qui avait changé de club, m’appelait « l’archi », parce qu’il me voyait toujours dans les avions avec une règle et un critérium, en train de dessiner mes plans. Sur la fin de ma carrière, c’était devenu maladif.
Est-ce la raison pour laquelle vous avez stoppé votre carrière relativement jeune (33 ans) ?
Ce fut une des raisons. Ma tête avait aussi un peu lâché et je venais d’avoir ma fille. Le foot, c’est une machine à laver dans laquelle on est entraînés : on suit le tambour. On ne se pose pas beaucoup de questions. Je me voyais alors mal partir dans un autre club après avoir passé 26 ans aux Girondins. Et le changement de vie ne me faisait pas peur puisque je l’avais préparé. Ma passion pour l’architecture et la décoration était tout aussi importante. Il a simplement fallu que je trouve mon propre rythme après ma carrière. Mais aujourd’hui, je me trouve plus épanoui en tant qu’homme.
Quel regard portez-vous sur la situation difficile des Girondins ?
Les Girondins, c’est ma deuxième famille. J’y ai démarré à 7 ans, Claude Bez était encore président… On m’y a appris à faire mes lacets. Je ne passe pas souvent au Haillan, mais je pense beaucoup aux gens qui y travaillent depuis longtemps. Évidemment, je suis attristé par ce qui arrive. Auparavant, les gens que je croisais étaient admiratifs des Girondins. Jean-Louis Triaud, l’ensemble des coachs qui y sont passés maintenaient une belle image, sans faire de vague. Le virage américain a été mortel, c’est indéniable. Et à partir du moment où tant de gens non imprégnés de la culture bordelaise l’ont récupéré, la mayonnaise n’a pas pris. Aujourd’hui, les gens se détachent du club. Les Girondins ne font presque plus partie de la ville. Mais c’est la dégradation de cette image qui est dramatique. Il faudra du temps pour la reconstruire. Quand j’ai démarré, vous pouviez être un génie, si vous n’étiez pas poli, respectueux, vous repartiez illico. C’est ce qui a fait la force de notre club, l’exemplarité. Il faut se recentrer là-dessus.
Une dernière question, indiscrète, sur Knysna (en 2010, l’équipe de France avait refusé de s’entraîner en plein Mondial après l’altercation Domenech-Anelka) ? En étant à l’intérieur du groupe, comment l’aviez-vous vécu ?
Étrangement, ça reste un beau souvenir : l’hôtel était magnifique !