Du 5 au 15 novembre, Musical Écran, festival dédié au documentaire musical célèbre ses dix ans, dix jours durant, de Bègles à Bordeaux. Qui dit bel âge, dit bilan. Richard Berthou, infatigable programmateur, passe à table.

Peut-on revenir sur les origines du festival ?

Tout a débuté dans la cave de notre ancien local, où notre ami Bertrand Grimault de l’association Monoquini, alors associé à la programmation, projetait des films en 16 mm. Je travaillais dans le cinéma, mais ne connaissais rien aux rouages de la distribution ; j’ai appris sur le tas. Bertrand a été très précieux. Puis, Utopia Saint-Siméon en nous accueillant, même si cela ne nous a rien apporté concrètement.

Je me souviens aussi d’une soirée consacrée à la disco sur la terrasse de l’IBOAT. Finalement, on faisait ce qu’on sait faire avec Bordeaux Rock… L’année suivante, nous avons bénéficié d’un appel à projets, porté par la Ville de Bordeaux. Cependant, ce qui nous a sauvés, c’est l’Europe et les partenariats successivement noués avec Turin, San Sebastian, Berlin, Londres, Cologne, Paris. Tout ce qui allait constituer l’embryon du Music Film Festival Network. Depuis, Pau est entré dans la danse ainsi que deux festivals allemands, un festival portugais, un festival croate et un petit festival ukrainien.

Quels étaient les espaces dédiés au documentaire musical à vos débuts ?

Hormis Filmer la musique [le prédécesseur du FAME, NDLR], à Paris, nous nous sommes rendu compte que nous étions seuls sur ce créneau ; d’ailleurs, on est toujours parmi les seuls rescapés. En tant que programmateur qui s’est improvisé, j’étais toujours friand, et le suis encore, de documentaires, notamment musicaux.

Jadis, uniquement Arte et France Télévisions, dans un registre purement hexagonal, s’y intéressaient. 10 ans plus tard, tout le monde commente la série consacrée à DJ Mehdi, sans oublier de véritables succès publics en salle comme Sugarman ou Amy. En France, nous avons toujours eu de très bons réalisateurs, mais n’avons pas suffisamment exploité le créneau. Et si l’on remonte dans le temps, il faut évoquer les films consacrés aux festivals comme Woodstock. Personnellement, je rêvais d’autres espaces, autrement circonscrits qu’à Bordeaux et au rock…

10 ans plus tard, est-ce facile de faire son marché ?

Je suis « reconnu », identifié, convié à des festivals en qualité de juré ou de simple invité, mais comme Musical Écran prend de la place, ça finit par emmerder certaines personnes.

Concrètement, y a-t-il un « bon » moment pour programmer et comment ?

Nos débuts en mai se sont révélés catastrophiques. Ensuite, nous avons récupéré une fenêtre libre, au mois d’avril, complexe mais pas si mal. Hélas, la pandémie a tout rebattu. On s’est retrouvé bringuebalé en septembre sans pouvoir faire de travail auprès des scolaires, accusant une fréquentation en chute libre de -30% à -45%.

Désormais, Musical Écran est en novembre, entre Mégarama, Théâtre Molière et La Lanterne, à Bègles. C’est très bien car il y a un engouement certain en ville à ce moment-là. Bordeaux souffre toutefois d’un réel souci en termes de diffusion de l’image, trois salles classées Art & Essai pour une métropole d’un million d’habitants… Quant à la programmation, on ne peut toujours pas faire de multidiffusion !

C’est très simple : soit on montre peu et plus d’une fois, soit on montre beaucoup mais en séance unique. Donc, le modèle, c’est 6 jours, 3 séances en semaine, 5 séances le week-end. Et 25 écrans, c’est forcément 2×12 ou 25. Nous rêvons d’avoir autant de films dans un temps plus long, mais cela reste une utopie trop dispendieuse et trop compliquée.

Au bout de 10 ans, aides et partenariats sont-ils conséquents ?

Nous ne percevons rien du CNC ni de la Sacem. Seuls les collectivités locales — Ville de Bordeaux, Bordeaux Métropole, Conseil départemental de la Gironde et Région Nouvelle-Aquitaine — nous apportent des subventions. Musical Écran, ça vaut 90 000€, soit 15 000€ par jour.

Résultat des courses, nous sous-titrons en interne les documentaires et je programme à l’œil ; ça me coûte de ma poche, mais je ne suis pas regardant. Soyons réalistes un instant, Musical Écran vaut largement le double. Si nous étions une structure privée cela serait peut-être beaucoup mieux, qui sait ? Nous avons noué deux partenariats avec arte et FIP.

Chercher des partenariats, ça coûte un emploi à plein temps ; chose que nous ne pouvons hélas encore imaginer. Enfin, la billetterie oscille, bon gré mal gré, entre 15 et 20 000€ suivant les éditions. Si nous disposions de 50 écrans — possible sur le papier —, ce serait dans de très mauvaises conditions, totalement irrespectueuses du public et des exploitants.

Quels changements notables le programmateur constate-t-il en 10 ans ?

Brigitte Fontaine : réveiller les vivants, projeté en 2023, illustre enfin la volonté des chaînes de télévision françaises de documenter avant qu’il ne soit trop tard. Ce qui se raréfie, ce sont les fan movies comme Damo Suzuki, le chant de l’imprévu, à l’affiche cette année.

Sinon, il n’y a plus de place pour l’expérimental. Où sont les Shadoks et le GRM du XXIe siècle ? Pour moi, l’un des changements les plus profonds vient sans surprise des États-Unis. Les plateformes de streaming étant autant de tuyaux à remplir de contenus, les maisons de disques ont bien compris, fortes de leurs colossaux catalogues, leurs intérêts. Résultat, des 52 minutes sans aspérité.

Et, parallèlement, on voit émerger des formes riches d’images captées en temps réel et non plus de simples accumulations d’archives tel le passionnant Omar & Cedric, If This Ever Gets Weird que nous programmons. Je suis persuadé que la musique a toujours un temps d’avance sur la société et la course du monde. Les bons documentaires musicaux nous parlent mieux et en avance de géopolitique, surtout sur ce qui se joue au Moyen-Orient et en Afrique. Enfin, je devine un nouvel engouement pour le documentaire et une vraie appétence du public.

Et la production française dans tout ça ?

Nous souffrons encore et toujours de la centralisation. Une certaine presse fait la pluie et le beau temps et tout le monde emboîte le pas : distributeurs, tourneurs, salles. Mais le public est curieux et s’en va piocher sur Internet. Hormis quelques festivals, où peut-on voir La Grande Triple Alliance internationale de l’Est ?

Que fait-on de notre fabuleux patrimoine des années 1970 ? La France, c’est chacun son pré carré comme ici. L’ambition de Musical Écran, c’est la circulation des œuvres. Si nous ne le faisons, qui s’y collera ? Combien de temps pourra-t-on tenir dans ces conditions ? Qui prendra le relais ?

Le réseau européen constitué est-il un atout ?

Nous n’avons hélas presque aucune reconnaissance auprès des distributeurs. Cela reste donc fragile. Néanmoins, les œuvres circulent. Voilà au moins un aspect rassurant.

Et dans 10 ans, quid de Musical Écran ?

On grossit tout en restant fragile. Quelles seront les méthodes de consommation de l’image ? Quid de la préservation des œuvres quand on constate, effaré, le taux de destruction des documentaires ? Bref, je n’en sais rien.

Propos recueillis par Marc A. Bertin

Informations pratiques

Musical Écran—festival international de documentaires musicaux,
du mardi 5 au vendredi 15 novembre,
Bègles (33) et Bordeaux (33).